Chems-Eddine Hafiz, le recteur de la Grande mosquée de Paris, a reçuBenjamin Stora dans un podcast mis en ligne sur les réseaux sociaux. L’historien a parlé des 50 ans qu’il a passés à travailler sur l’histoire de l’Algérie, a fait des confidences sur le rôle qu’il a joué ces dernières années dans la tentative de réconciliation mémorielle entre l’Algérie et la France.
Première révélation de Benjamin Stora, le président Emmanuel Macron est venu le consulter sur la question en 2016, soit avant son élection en 2017. « Comme l’histoire est très longue, il faut être patient », a-t-il dit au jeune candidat à la présidentielle, lui conseillant de « choisir des gestes symboliques et aller pas à pas ».
Emmanuel Macron était d’accord avec cette démarche et il lui demandera de faire le fameux rapport sur les mémoires de la colonisation, remis en janvier 2021. Stora était critiqué après la publication de ce rapport et il avoue que cela l’avait affecté. « Quand on connaît mon parcours et les propositions que je faisais… », dit-il.
C’est lui qui a proposé les gestes sur Maurice Audin, Ali Boumendjel, Larbi Ben M’hidi. « J’ai proposé aussi que la France honore la mémoire de Mouloud Feraoun en déposant une gerbe à Alger », révèle-t-il.
Benjamin Stora : « Emmanuel Macron m’avait contacté avant son élection »
Pour lui, il fallait « aller pas à pas pour montrer à la société française et aux jeunes générations ce qu’était la réalité de la guerre et du système colonial ». Or, certains ont estimé qu’il faut faire « une condamnation globale, faire un discours d’excuses et on tourne la page ».
« Je ne crois pas qu’on puisse tourner la page comme ça. Quand on voit toutes les difficultés que j’ai rencontrées sur des cas précis, alors on imagine le reste », répond-il.
Parmi ses propositions qui n’ont pas abouti, Benjamin Stora regrette son échec sur le cas de l’avocate Gisèle Halimi. « Je n’ai pas réussi sur Gisèle Halimi parce qu’il y a eu une pétition de filles de harkis contre son entrée au Panthéon », confie-t-il. L’autre critique, entendue sur le rapport, est qu’il fallait une commission, et pas un seul historien. Stora estime qu’un tel travail prendrait plusieurs années.
Il a fini par intégrer la commission mixte d’historiens en 2022, mais la démarche était différente, selon lui. L’historien révèle qu’il a été reçu par le président Abdelmadjid Tebboune qui a proposé une commission mixte.
Il explique qu’il a accepté parce que, « cette fois, c’était un engagement sur la durée. C’est-à-dire de commencer par avoir des moyens et des dispositions matérielles permettant de donner aux chercheurs les moyens de travailler sur la longue durée ».
Il dit avoir constaté, en 2023-2024, qu’il y avait « une indépendance des membres de cette commission du côté français comme du côté algérien avec des moyens mis à leur disposition pour voyager, aller aux archives… ». Malheureusement, regrette-t-il, « l’actualité politique est venue percuter le travail scientifique ».
« On est revenu à un stade antérieur, en espérant peut-être qu’un jour, on puisse reprendre les travaux de cette commission mixte » qui « sont à l’arrêt », souhaite-t-il. À travers cette commission, c’est une voie qui est ouverte avec l’Algérie et, derrière, « il y a tout ce qui se passe en Afrique, notamment dans la jeunesse, qui veut se réapproprier la totalité de son histoire. C’est un énorme défi pour la France de demain, c’est-à-dire être capable de réparer en restituant », estime Benjamin Stora.