Benjamin STORA - Les immigrés algériens en France Une histoire politique 1912-1962 (Hachette Littérature/Pluriel, 2009, 492 p., 12,90 €)

De père en fils

2_les_immigres_algeriens_en_france_BStoraNotes de lecture
Faire revivre l’histoire si mal connue de la communauté algérienne en France, c’est l’objectif annoncé de ce livre que Benjamin Stora signe quelques mois avant le débat sur l’identité nationale. Dans ce contexte marqué par les dérapages et l’amnésie, ce livre réaffirme la nécessité d’un tel éclairage pour mieux appréhender la France d’aujourd’hui, dans sa complexité et sa richesse.
Il s’agit en fait d’une réédition d’un ouvrage publié en 1992 chez Fayard sous le titre « Ils venaient d’Algérie », version condensée d’une thèse d’État d’histoire sous la direction de Charles Robert Ageron.


Contrairement à une idée reçue, l’immigration algérienne ne commence pas avec la guerre d’Algérie. Les premières vagues, essentiellement kabyles, arrivent vers 1912, poussées par des nécessités économiques. D’autres vagues suivront et formeront bientôt une présence plus durable, qui va s’enraciner et suivre les contours d’une France industrielle pourvoyeuse d’emplois, souvent parmi les plus pénibles et dangereux. Puis viendra le temps de l’immigration familiale qui contribuera à ancrer davantage encore cette population marquée par les évolutions politiques de la fin de la période coloniale. Bien que le plus souvent analphabètes, d’origine rurale, peu instruits, les immigrés algériens se passionnent pour la politique, lisent ou se font lire les journaux, écoutent la radio et vont, peu à peu, dans cette terre d’exil si froide, s’éveiller au sentiment national. L’historien rend justice à ces hommes et à ces femmes dont la contribution à la guerre d’indépendance a été quelque peu escamotée par le pouvoir algérien.
De l’Etoile Nord-Africaine de Messali Hadj, au FLN, le livre consacre une part importante à la naissance compliquée du mouvement de libération, à travers les différentes organisations qui se sont succédé avant d’aboutir
au Front qui rassemblera tous les nationalistes autour de la conquête de l’indépendance dans ce qu’on a appelé la Fédération de France.

 

L’historien décrit la « modification progressive de cette immigration d’hommes sans nom » qui petit à petit vont constituer une sorte d’armée de l’ombre dont le rôle sera décisif pour la libération de l’Algérie. Il évoque
longuement les luttes fratricides qui déchireront ces mouvements mais aussi les violences policières françaises et leur point d’orgue le 17 octobre 1961.

 

L’indépendance chèrement acquise, la plupart des immigrés n’en goûteront guère les fruits. La situation de l’emploi dans l’Algérie n’offre que peu de possibilités de réinsertion au pays. Reste alors le mythe, cultivé auprès des enfants, d’un hypothétique retour, dont la perspective s’éloigne de décennie en décennie. Dans les années 80, les enfants de ces immigrés vont à leur tour faire parler d’eux et s’emparer de leur destin, amorçant ainsi un tournant décisif dans l’histoire de cette immigration. Et l’auteur de s’interroger sur ce paradoxe apparent : les héritiers de ceux qui se sont battus autrefois en France pour l’indépendance de leur pays revendiquent une intégration et une vraie citoyenneté.

 

Tout de même, cela ne s’est pas fait en un jour et la volonté affirmée de devenir français n’a pas toujours été partagée par l’ensemble des enfants d’immigrés. Pour beaucoup même, elle a nécessité un long cheminement. D’ailleurs, et l’auteur le reconnaît lui-même, cette partie de l’histoire reste encore à écrire. Cela étant, l’immigration algérienne demeure marquée par les luttes politiques et par l‘engagement militant. Au fond ne s’agit-il pas du même combat, pour la liberté et la dignité ?
De père en fils.

Keltoum Staali
Recherches internationales. 2010