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Larrivée BSEn publiant L’arrivée – De Constantine à Paris – 1962-19721, du haut de ses 73 ans, Benjamin Stora, internationalement connu pour ses recherches sur la guerre d’Algérie et l’histoire du FLN2 se penche sur son destin. Qu’aurait-il été si, un jour d’avril 1962, après que les Accords d’Evian furent signés, ses parents n’avaient pas quitté l’Algérie pour la France ? Ce livre est bouleversant car, pour beaucoup d’entre nous, il nous renvoie à un monde que nos parents nous racontaient souvent avec des larmes en guise de mots ; ensuite parce qu’il ne fait pas l’impasse sur le mauvais accueil réservé aux pieds-noirs, ceux-là même que l’Administration appelait pudiquement les « rapatriés ». Enfin, lire ce livre c’est aussi comme si on effectuait virtuellement le voyage en une Algérie désormais ensablée par « le temps-qui-passe » Cependant ce n’est pas un livre sur l’oubli ou même la résilience. Non. L’Arrivée – De Constantine à Paris est un ouvrage dont l’encre semble avoir été trempée dans les mannes de nos ancêtres, autrement dit, un livre dont chaque page est un hommage.

L’arrachement

A onze ans, la mémoire d’un enfant n’est guère chargée, sinon des bruits de préau, des piaillements de rues, des parties de foot et des bagarres d’où l’on revient à la maison avec un œil poché. Il suffit de lire Camus pour retrouver tout cela. En 1962, c’est l’exode. Seuls les adultes débarquent en France avec dans leur mémoire les tombes des aïeux qu’ils ne reverront jamais plus. Benjamin Stora a onze ans en avril 1962. Pour l’enfant qu’il est alors, le voyage est excitant, prometteur d’aventures. Ses parents, eux, se demandent comment ils vont faire bouillir la marmite.

Stora opère une sorte de travelling arrière, sans concession aucune. Il revisite le regard de ses parents, mais il lui faudra plusieurs années encore avant de comprendre le poids de ce déracinement, la brûlure de cet arrachement et la purulence de cette déchirure. En quittant l’Algérie, pour des centaines et des centaines de milliers de ces Français « d’ailleurs » partir c’était comme mourir un peu.

Benjamin Stora raconte cette France des années soixante vue par un pied-noir qui, bien que Français, n’y avait jamais mis les pieds.

Une France peu accueillante parce que trop lasse d’une décolonisation cahoteuse, chère en vies humaines.

En lisant le livre de Stora on a forcément en mémoire les images du Coup de Sirocco et on se dit : « nos grands-parents ont vécu ça ! » Qu’on se souvienne d’un Gaston Defferre disant à qui voulait l’entendre « les pieds-noirs ? qu’ils aillent s’intégrer ailleurs qu’à Marseille ! ». Il avait simplement oublié que pour ces Méditerranéens, la Bonne Mère ressemblait comme deux gouttes d’eau à Notre Dame de Santa Cruz.

La tradition comme bouée de sauvetage

On ne résume pas un livre mémoriel comme on analyse un livre d’histoire. Or L’arrivée – De Constantine à Paris est bien plus qu’un livre mémoriel, c’est un « album-miroir ». Sur 240 pages, c’est tout un monde qui défile. De Gaulle, les Trente Glorieuses, Mai 68, une décennie à peine mais si riche en événement. Ce monde qui défile, nous l’effeuillons page après page à travers le prisme de ce gosse de Constantine, devenu chercheur incontournable de la question algérienne, après avoir été un trotskyste membre de l’Alliance des Jeunes pour le Socialisme. Cet engagement à gauche a été celui de beaucoup d’entre nous, je dois le dire, jusqu’au massacre des athlètes de Münich qui nous a remis les idées en place. Stora nous raconte les heurs et malheurs de ces Sixties mais aussi ses parents, déclassés après l’exode et vivant dans une HLM de Sartrouville. Pourtant, malgré la condition ouvrière que le jeune Stora découvrait en banlieue parisienne, à la maison la tradition juive était comme une fabuleuse bouée de sauvetage.

Le surnom de « petite Jérusalem » donné à Constantine a traversé les générations. La cuisine, étroitement liée à la tradition religieuse, c’était l’ADN de nos parents, leur planche de survie en quelque sorte. Cette ville pieuse et bon enfant, ces rabbins modestes, parfois au seuil de la pauvreté, ces familles nombreuses qui allaient chez les uns et chez les autres, c’était ça Constantine. Une ville de brassage où les mômes jouaient dans les rues sans se demander si le gardien de foot de l’équipe était juif, musulman ou chrétien, une société qu’Albert Camus dans L’Etranger a si bien dépeinte.

Et si en Algérie, avant les « événements » la religion se déroulait aussi bien dehors qu’à la maison, la France a remodelé tout cela.

L’intégration c’est sans doute cela : cultiver ses traditions et ses racines à la maison, honorer la République et ses règles au dehors.

Les mots sont des traces qui ne s’effacent pas

On peut être d’accord ou pas avec l’orientation historique de Benjamin Stora, le fait est que ce livre n’est pas l’œuvre d’un universitaire fût-il de renommée mondiale. C’est un hommage à nos grands-parents. Les mots qu’il dessine sur la page, sont comme des appels de mémoire comme il y a des appels d’air. Bref l’Arrivée de Constantine à Paris est un livre-résonance au sens où on y trouve ce que parfois nos parents n’ont pas eu le courage de nous raconter3

Michel Dray. Historien

Ancien directeur-Général du Comité de Coopération culturelle Marseille-Provence-Méditerranée
Coordinateur de Zone Libre, lieu d’échange d’idées et de réflexions

  1. L’arrivée – De Constantine à Paris – 1962-1972, éditions Taillandier, (19,90 euros)
  1. A lire l’excellente biographie de Messali Hadj Editions le Sycomore 1982, réédition chez L’Harmattan en 19862
  1. Mes parents, par exemple, ne me parlaient pas de LEUR Algérie. Le traumatisme était trop vif sans doute. Je dois à mon regretté ami, le professeur Raphaël Draï et à Rolland Draï, son cousin, de m’avoir si bien raconté cette Constantine aujourd’hui perdue dans les limbes d’un monde englouti.

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Ouvrages

Hommage à Benjamin Stora, Mucem, Marseille, 31 mai 2018

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