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B Stora ambassadeMesdames et Messieurs,

Cher Benjamin Stora,

Vous avez, vous aussi, durant ces dernières décennies, souvent endossé le costume d’ambassadeur. Un ambassadeur pour la paix, un ambassadeur des mémoires. Car l’histoire, lorsqu’elle est racontée, comme vous avez su le faire, dans toute sa vérité et sa complexité, est réparatrice. On dit souvent que vous êtes le meilleur connaisseur de l’histoire de l’Algérie. Soyez en remercié, car la France comme l’Algérie ont besoin et auront besoin de chercheurs, d’enseignants et d’intellectuels comme vous.

Notre passé commun avec l’Algérie, tumultueux, passionnel, si présent à l’esprit de tant de nos concitoyens, vous avez su le retrouver et le transmettre, comme un passeur. De cette « guerre sans nom », vous avez su raconter les souvenirs et les blessures collectives et individuelles, vous avez su dire la « gangrène et l’oubli ». Vous l’avez dit parfois, cette guerre, chacun l’a vécue différemment : Algériens, Français, harkis, juifs, et tant d’autres… Alors comment éviter la « guerre des mémoires », si ce n’est en redonnant à l’histoire toute sa noblesse, et donc toute sa légitimité. Car la vérité n’est respectueuse que lorsqu’elle ne cache rien. Pour cela, nous avons pu compter sur vous, et espérons pouvoir le faire encore.

Votre singularité, elle réside dans un paradoxe : vous vous dites « historien engagé », mais vous avez su être respecté de tous. Cela est bien rare. Mais c’est le signe que vous avez respecté votre discipline, en l’enrichissant sans l’instrumentaliser. C’est ainsi, il me semble, que le véritable engagement de l’historien se conçoit. Espérons que beaucoup d’autres suivront votre chemin.

Ce matin, nous avons vu combien vous avez contribué à la constitution du savoir et à sa transmission. Mais parallèlement à ce parcours académique, vous êtes un citoyen engagé. C’est, je crois, ce dont certains témoigneront cet après-midi. Jeune militant trotskiste, vous vouliez faire la révolution. Cette révolution, vous l’avez faite du côté des archives et des tableaux noirs, une révolution pour la connaissance, la compréhension et l’apaisement des mémoires. La plus belle de toutes. Puisque nous célébrons à la fois cette année le cinquantenaire de Mai 68 et les quarante ans de votre thèse fondatrice sur Messali Hadj, c’est l’occasion de nous rappeler l’unité de votre engagement.

Cet engagement, vous l’avez porté avec détermination. Car en vous lisant, on comprend que vous avez parfois douté. Que vous avez été porté par ce doute, peut-être. Vous dites, dans Les Clés retrouvées, parlant de votre enfance en terre constantinoise, que « s’arracher à cette terre » est « une détresse qu’aucun livre d’histoire ne pourra jamais faire comprendre ». Comment alors trouver du sens ? Le déchirement de toutes ces personnes qui ont été arrachées à leur pays est-il inexprimable ? C’est souvent le rôle des poètes que de faire sentir l’indicible. Mais l’on vous prête aussi des talents d’écrivain. Alors, lorsqu’histoire et littérature sont réunies, elles font l’unanimité, et apportent le réconfort au devoir de mémoire. Vous aimez Albert Camus, dont vous dites qu’il sait exprimer « la complexité, la solitude, l’isolement, et refuse la haine ». Il semble que, d’une certaine manière, vous ayez suivi sa route.

Cet engagement citoyen que vous avez porté, il a d’abord consisté en l’affirmation d’un certain idéal politique, pour l’égalité et la justice. Puis, à mesure que vous deveniez le spécialiste que nous connaissons, vous vous êtes engagé pour des relations apaisées entre la France et l’Algérie. Par votre travail d’historien, je l’ai dit, mais aussi en tant que conseiller des princes. François Mitterrand d’abord, puis Jacques Chirac, François Hollande, Emmanuel Macron aujourd’hui, et cela tout en sachant garder votre discrétion. Sans vous soucier des étiquettes politiques, par abnégation, honnêteté intellectuelle et par respect pour la cause que vous portez.

Dans l’ombre, vous avez beaucoup œuvré pour le rapprochement entre la France et l’Algérie, et grâce à vous, du chemin a été parcouru. On se souvient de la visite et du discours de Jacques Chirac, qui avait appelé à « regarder le passé en face », en mars 2003. Mais également des visites de François Hollande, de la reconnaissance de la répression du 17 octobre 1961. Enfin, la visite du Président Macron, que vous avez accompagné, j’en suis témoin, il y a quelques mois.

Aujourd’hui, les coopérations entre la France et l’Algérie sont nombreuses, tant dans le domaine culturel ou économique que dans la prévention et la lutte contre le terrorisme, devant lequel nos deux pays, ensemble, se tiennent debout. Ces relations de proximité, elles n’étaient pas acquises, et nos deux pays peuvent vous être reconnaissants d’avoir été parfois – souvent – l’ambassadeur de leur rapprochement.

Votre engagement, vous continuez à le porter par la culture, auprès de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, ainsi que par l’éducation, en tant qu’Inspecteur général de l’Education nationale. Par ces deux canaux, vous assurez la transmission si précieuse qui nous permet de ne pas oublier pour regarder vers demain. Ainsi avez-vous vécu, fait et raconté l’histoire.

Le MUCEM, qui nous accueille aujourd’hui, semble l’endroit rêvé pour un tel événement. Son esprit vous semble fidèle. Un musée, lieu de savoirs et de transmissions ; situé dans la belle ville de Marseille, où l’ont dit parfois que la passion et la fierté ont quelque chose de l’Algérie ; et résolument tourné vers la Méditerranée, dans tous les sens du terme. La Méditerranée qui, depuis 60 ans, a vu les exodes et les drames se multiplier. Vous avez su nous faire parvenir les destins de beaucoup de ces inconsolables exilés. Cette mer, c’est peut-être la première chose que la France et l’Algérie ont en commun. « La mer » était l’un des mots favoris de Camus. Nous sommes tous, après lui, des « citoyens méditerranéens ».

Un passage de ses Essais semble avoir été écrit pour nous. En creux, il dresse le parallèle entre la Méditerranée et l’histoire :

« Notre tâche est de réhabiliter la Méditerranée, de la reprendre à ceux qui la revendiquent injustement… c’est de servir cet aspect de la culture méditerranéenne qui favorise l’homme au lieu de l’écraser… A des hommes méditerranéens, il faut une politique méditerranéenne. Nous ne voulons pas vivre de fables. Dans le monde de violence et de mort qui nous entoure, il n’y a pas de place pour l’espoir. Mais il y a peut-être place pour la civilisation, la vraie, celle qui fait passer la vérité avant la fable, la vie avant le rêve ».

Pour avoir su faire passer « la vérité avant la fable », merci, Benjamin Stora.

https://dz.ambafrance.org/Discours-de-l-Ambassadeur-en-l-honneur-de-B-Stora

 

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Hommage à Benjamin Stora, Mucem, Marseille, 31 mai 2018

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