La silhouette de l’émir Abdelkader trône sur les bords de Loire. Une façon d’honorer ce modèle de tolérance, érigé en symbole de réconciliation.
Personnage charismatique, mystique et chef de guerre, l’émir Abdelkader a durablement marqué la ville d’Amboise. Le retentissement de son séjour dépasse largement les murs du château, dans lequel il a été emprisonné.
Samedi 5 février, une sculpture lui rendant hommage sera inaugurée sur les bords de Loire. Un hommage qui répond à une proposition de l’historien Benjamin Stora dans le cadre de la réconciliation mémorielle entre la France et l’Algérie.
Gros plan sur ce personnage devenu un symbole de tolérance avec l’écrivaine amboisienne Martine Le Coz, autrice de Jardin d’Orient, aux éditions Michalon.
Qui était l’émir Abdelkader ? « C’est une personne d’une telle profondeur, d’une grande largesse d’esprit et de cœur. Il est considéré comme le père de la nation algérienne. Vers 1830, les Français s’installent en Algérie, à la suite des Ottomans. L’émir était tout jeune, il n’avait pas la vocation d’être guerrier : c’est d’abord un mystique, issu d’une confrérie soufie qui remonte directement au prophète Mahomet. L’émir avait une personnalité très forte, il dégageait une telle présence qu’il a été choisi pour prendre la tête de la résistance aux Français. Il a écouté son devoir et mené la résistance très vaillamment, pendant quinze ans. »
Comment est-il arrivé à Amboise ? « La légende dit qu’une nuit, il a reçu une vision d’Abraham, qui lui a dit que les combats étaient tellement sanglants qu’il était temps pour lui de se tourner vers le grand djihad, le combat sur soi-même. Il s’est rendu aux Français, a donné son cheval noir et son épée. Il a simplement demandé la permission de pouvoir se retirer en terre d’islam. Les Français ont promis, mais ont repris leur promesse. Il s’est retrouvé enfermé au Fort Lamalgue à Toulon, puis dans le château de Pau, et enfin dans le château Amboise, pour l’éloigner encore de sa terre natale. »
Que sait-on de son séjour à Amboise ? « Il a été emprisonné pendant quatre années dans le château, qui était alors désaffecté. Il est arrivé en 1848 à Amboise avec une centaine de personnes : sa mère, ses frères, des femmes, des dignitaires, des serviteurs, des enfants. Au début, il était assigné à résidence, mais il était très respecté par les gens qui en avaient la garde, qui lui reconnaissaient sa droiture et sa grande tolérance. Il a eu pour ami le curé d’Amboise, avec qui il échangeait beaucoup. L’émir a d’ailleurs été autorisé à pratiquer sa foi comme il l’entendait. On a même permis que l’appel à la prière soit lancé cinq fois par jour du haut d’une tour du château. À Amboise, on entendait donc les cloches et l’appel à la prière. Mais le château était glacial et insalubre, Abdelkader et les siens avaient froid. Les femmes refusaient les soins des médecins. Plusieurs personnes sont mortes durant cette détention. En 1852, Napoléon III est venu lui-même libérer l’émir et les siens. Il est d’abord allé en Turquie, puis en Syrie. Il voulait mourir à Damas. »
Il aimait se promener sur les bords de Loire… « Les deux premières années, il est resté replié sur lui-même. Il refusait de sortir, en réaction au non-respect de la promesse faite par la France. Il a reçu la visite de beaucoup de personnes de la région et de personnalités qui se sont mobilisées pour sa libération. Puis il a eu le droit de sortir en étant escorté. Il y a des souvenirs d’habitants d’Amboise, dont les grands-parents leur ont raconté qu’ils avaient aperçu l’émir se promener dans les vignes. Il allait aussi à Limeray, il admirait les trains. Certains ont été marqués par l’image de la silhouette blanche de l’émir dans son burnous. »
En quoi a-t-il marqué l’histoire d’Amboise ? « Ce qui frappe, c’est la présence d’un homme exemplaire, d’une telle grandeur d’âme. S’il y a une personne lumineuse à Amboise, c’est lui. »
A savoir
Un « Passage » sur les bords de Loire
Saisissant au bond la proposition de l’historien Benjamin Stora qui, dans son rapport sur la réconciliation mémorielle entre la France et l’Algérie, proposait l’installation d’une stèle en hommage à l’émir Abdelkader à Amboise, la Ville a fait appel au sculpteur tourangeau, Michel Audiard. C’est l’un de ses « Passages », du nom de ces portraits découpés dans une feuille d’acier rouillée, qui replacera la silhouette de ce personnage historique le long des bords de Loire, à quelques pas du château d’Amboise où il a été emprisonné. Pour la réalisation de son œuvre, Michel Audiard s’est inspiré d’un portrait en pied de l’émir Abdelkader, issue du fond de la Bibliothèque nationale de France.
Le coût de cette installation de 3x2 m, 35.000 €, est supporté en grande partie par des subventions de l’Élysée et de la Direction régionale des affaires culturelles. Elle sera officiellement inaugurée samedi 5 février.
Par Martine Le Coz.