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Larrivée BSPar Sébastien Le Fol
Dans un livre poignant, l’historien Benjamin Stora raconte son enfance en Algérie et son arrivée à Paris, en 1962.

"L’ancien trotskiste que vous êtes aurait pu intituler ce livre de confessions “Du passé faisons table rase”, non ?

En effet ! De mon passé algérien, mon enfance à Constantine et mon exil en France, j’ai longtemps fait table rase. J’ai enfoui mon histoire personnelle, je ne l’assumais pas. J’ai vécu dans le déni. Dans ces pages, je me livre comme jamais. Cet exercice d’introspection a été très douloureux. Je suis tombé malade après l’avoir écrit.

On a l’impression que vous avez vécu jusque-là une sorte de confinement personnel…

Vous avez raison, c’est le mot ! Ce livre m’a sorti de mon confinement.

Pourquoi avoir dissimulé à ce point votre histoire personnelle ?

Lorsque nous sommes arrivés à Paris avec mes parents, nous étions des vaincus de l’Histoire. Et puis nous avons vécu un déclassement social. Nous avons découvert un pays qui se modernisait à la vitesse grand V. La France avançait et les Français ne regardaient pas en arrière. Claude François a sorti un tube sur l’année 62 : il ne mentionne même pas l’Algérie!

Longtemps, les Juifs d’Algérie, dont vous étiez, n’ont pas souhaité se distinguer des autres Européens d’Algérie. Au point qu’on vous a pris pour un Pied Noir…

C’est un grand malentendu, dont j’ai souffert. En France, on nous prenait ma famille et moi pour des colons. Lorsque je suis arrivé au Lycée Janson de Sailly, dans le seizième arrondissement de Paris, je ne pouvais pas raconter mon histoire. Tout ce qui arrivait d’Algérie était mis dans le même sac. Très jeune, j’ai senti que je ne pourrai jamais être un Français comme les autres. Ma mère disait d’ailleurs “Les Français” en parlant des parents de mes copains de classe. Un comble alors que famille aimait par-dessus tout la France. Mes ancêtres du côté paternel étaient français depuis 1867 avant le décret Crémieux de 1870.

N’en avez-vous pas conçu du ressentiment à l’égard de la France ?

J’ai longtemps transporté avec moi ce mélange de fascination et de méfiance vis-à-vis de la France. Je le ressens moins aujourd’hui car j’ai acquis des connaissances.

Cette “méfiance” n’a-t-elle pas été un biais pour l’historien que vous êtes ?

J’ai longtemps pensé que le fait d’être devenu un historien “académique” m’avait permis de mettre à distance mon passé algérien. Il n’en était rien.

Vous avez longtemps refoulé l’Algérie, mais également votre judéité….

Je n’ai pas assumé publiquement mon identité juive jusqu’à ce que je m’engage à l’OCI, l’Organisation Communiste Internationaliste. Je m’aperçois alors que dans les mouvements d’extrême-gauche, il y a beaucoup de juifs. Pour la plupart, ils sont athés, ce qui est une découverte pour moi. La politique me fait passer du statut de victime à celui d’acteur. Je peux dès lors, paradoxalement, affirmer mon identité.

Vous évoquez avec une certaine nostalgie ce que vous appelez “le monde judéo-musulman” du Constantine de votre enfance. Comment les relations entre les juifs et les musulmans ont-elles pu se dégrader à ce point ?

Je crois être un des derniers témoins de ce que Abdelwahab Meddeb appelle dans son introduction à notre “Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours” (Albin Michel, 2013), le monde de la convivance. Nous évoluions dans le même univers. Tout cela paraît si lointain.

En tant que juif, vous sentez-vous menacé en France ? Notamment depuis l’attaque terroriste du Hamas, le 7 octobre dernier…

La montée de l’antisémitisme que j’observe en France, mais aussi un peu partout en Europe, ne contribue pas à ma sérénité, en effet.

L’antisionisme d’une certaine gauche actuelle est-elle le cache sexe de l’antisémitisme ?

Pour certains oui, « l’antisionisme peut être un cache-sexe », mais on peut être en désaccord avec la politique du gouvernement actuel d’Israel sans sombrer dans l’antisémitisme.

Croyez-vous encore possible une réconciliation entre la France et l’Algérie alors que le gouvernement algérien fait la chasse à la langue française dans les écoles. Quant à la visite d’Etat du président Tebboune dans notre pays, elle semble repoussée aux calendes grecques…

De part et d’autre de la Méditerranée, nous sommes prisonniers de la tyrannie de la mémoire et nous cherchons, en vain, à nous évader de cette prison mémorielle. Ce tête à tête est devenu étouffant pour beaucoup d’Algériens et de Français. Mais personne ne parvient à en finir avec cette histoire.

“Un système construit sur une rente mémorielle” a dit Emmanuel Macron à propos du régime algérien…

Cette rente mémorielle que j’avais théorisée s’applique aussi à la France. Que le parti héritier de l’extrême-droite Algérie française soit aussi haut dans les sondages n’est pas étranger à la question algérienne. Il y a encore dans l'inconscient français uns sentiment nationaliste blessé par la perte de l’Algérie. Les Français se sentent déclassés.

Le rapport sur “la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie que vous avez remis à Emmanuel Macron en janvier 2021 est-il resté lettre morte ?

Il y avait de véritables avancées dans ce rapport, qui a débouché sur des choses concrètes, comme la reconnaissance par la France de l’assassinat d’Ali Boumendjel, avocat et dirigeant politique du nationalisme algérien, assassiné pendant la Bataille d’Alger de 1957. Mais les gestes symboliques n’ont plus l’air d’être d’actualité dans les temps présents.

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Ouvrages

Hommage à Benjamin Stora, Mucem, Marseille, 31 mai 2018

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