- Benjamin Stora travaille inlassablement sur la mémoire de la guerre d’Algérie.
L’historien Benjamin Stora participe ce lundi à une soirée ciné-débat organisée par le conseil départemental de la Haute-Garonne, autour du mathématicien Maurice Audin, soutien de la cause algérienne, enlevé, torturé et tué par l’armée française.
Que disent l’histoire et le destin de Maurice Audin de la guerre d’Algérie ?
Cette guerre est longtemps restée sans nom, sans visage, puisque l’Algérie était considérée comme intégrée à la France. Il était donc impossible de se déclarer en guerre contre soi-même. C’est pourquoi on parlait « d’événements », et non d’une guerre. Longtemps, le nom de Maurice Audin, mathématicien, militant communiste enlevé puis qui a disparu en juin 1957, et dont le corps n’a jamais été retrouvé, peut symboliser cette non-reconnaissance, cette absence de la guerre dans l’espace public. Dans son cas, il y avait aussi une volonté de cacher le fait que certains « Français » soutenaient le mouvement algérien.
Pourquoi la France a-t-elle mis tant de temps à reconnaître son martyr et sa responsabilité dans sa disparition ?
Plusieurs explications peuvent être données. D’abord, le fait que la France a voulu sortir d’une longue période de guerre commencée en…. 1939, poursuivie avec la guerre d’Indochine, et achevée par l’indépendance de l’Algérie. À cet oubli voulu par la société, s’est ajouté l’oubli organisé par l’Etat avec une série de lois d’amnistie qui ont empêché tous jugements possibles à propos des exactions commises. Ce double oubli évacue les responsabilités politiques personnelles, individuelles, mais aussi celui qui relève de la responsabilité de l’Etat. Je pense, ainsi, également, aux drames vécus par toutes les communautés liées à cette guerre, soldats, pieds-noirs ou harkis.
« Ce double oubli de la société et de l’Etat évacue les responsabilités politiques personnelles, individuelles »
Maurice Audin a une place et une statue à sa mémoire à Alger, pourrait-on imaginer, aujourd’hui, que lui soit rendu un même hommage en France ?
Il existe déjà une place Maurice Audin à Paris, inaugurée par le maire de l’époque Bertrand Delanoë. Mais l’action de reconnaissance par le président actuel Emmanuel Macron, est allée plus loin en reconnaissant la responsabilité de la France dans l’assassinat. À la suite de mon rapport sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie, il a également reconnu la responsabilité de l’Etat dans l’assassinat de l’avocat algérien Ali Boumendjel, et proposé une ouverture plus grande des archives sur cette période.
Vous coprésidez la commission mixte d’historiens algériens et français chargée d’étudier la colonisation et la guerre d’Algérie, sera-t-il possible un jour d’avoir une vision commune (partagée) de cette histoire de part et d’autre de la Méditerranée ?
Depuis de nombreuses années déjà, les historiens français et algériens travaillent ensemble pour l’élaboration de récits. Ce qui n’était pas le cas lorsque j’ai commencé a travaillé sur l’histoire de l’Algérie en soutenant mon mémoire de maîtrise sous la direction de René Rémond et de Jean-Pierre Rioux en… 1974 (un demi-siècle déjà…). Mais votre question reste d’actualité. Le travail historien doit se poursuivre, en particulier par le biais de cette commission mixte, car les sentiments, les sensations ne sont les mêmes au niveau des deux sociétés dans le regard qu’elles portent sur le passé colonial. En France, certaines voix disent encore que la colonisation a été un acte positif, ce qui n’est pas envisagé de la même manière, de l’autre côté de la Méditerranée.
Cédric Vilani, un mathématicien en hommage à un mathématicien
Outre Benjamin Stora, qui présentera à cette occasion son nouveau livre « L’Arrivée » , le président de l’association Josette et Maurice Audin, Cédric Vilani, participera à la soirée débat autour du film « Maurice Audin, une histoire de mathématiciens » , en présence du réalisateur, François Demerliac. Avec également l’historien Gilles Manceron et la juriste et philosophe Catherine Teitgen-Colly, qui dédicaceront leur ouvrage « Les disparus de la guerre d’Algérie ». Tous animeront la table ronde consacrée à Maurice Audin. Membre du parti communiste algérien qui combattait pour l‘Algérie indépendante, il avait été arrêté le 11 juin 1957, pendant la bataille d’Alger, à l’âge de 25 ans, par des parachutistes du Général Massu, chez lui, devant sa femme, Josette, et ses trois enfants, avant d’être emmené dans un centre de torture. Personne ne l’a plus revu vivant.
Lundi 12 février, soirée Ciné-débat à partir de 19 heures dans la salle Républiqu e du conseil départemental de la Haute-Garonne, au 1 boulevard de la Marquette.
Pae Gilles-R. Souillés