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Par Jeanne Auberger
Messali Hadj, chef du Mouvement National Algerien (MNA), lors d'un meeting à Gouvieux en mars 1961. DALMAS/SIPA En juin dernier étaient célébrés les cinquante ans de la mort de Messali Hadj, grande figure de la lutte indépendantiste algérienne. Personnage peu connu en France, il aurait pu l'être bien davantage de l'autre côté de la Méditerranée. Pourtant, l'Algérie s'est toujours bien gardée de glorifier ce héros national. Et pour cause, il fut le grand rival du FLN qui mena une vraie vendetta contre ses partisans et finit par l'évincer.

Considéré comme le père du nationalisme algérien, Messali Hadj disparaissait en 1974 dans la relative indifférence d'Alger. Cinquante ans plus tard, à l'occasion de l'anniversaire de sa mort, le pouvoir algérien ne semble toujours pas ému. Pourtant, il est indéniablement l'un des grands personnages de l'Histoire algérienne qui aurait pu ériger en héros national. Né en 1898 à Tlemcen, dans le nord de l’Algérie, Messali Hadj grandit dans un milieu arabo-musulman et fréquente une confrérie religieuse ainsi que l’école française. Il fait son service militaire en France pendant la Première Guerre mondiale et gravit quelques échelons militaires, avant de rentrer en Algérie en 1920 où il suit l’émir Khaled, petit-fils de l’émir Abd el-Kader qui a mené les premières insurrections contre les Français au XIXe siècle.

Pour lui qui est considéré comme le père du nationalisme algérien, son engagement pour l’indépendance de l’Algérie commence dès les années 1920. En 1926, il fonde, avec le Parti communiste français et de
nombreux immigrés algériens l’Étoile Nord-africaine (ENA), un mouvement doté d’un programme politique qui définit un horizon d’indépendance pour l’Algérie.
Résolument opposé au terrorisme, Messali Hadj préfère la lutte politique et ne préconise pas le combat armé, qu’il juge dévastateur pour les civils. Formé au sein de la gauche républicaine française, Messali Hadj se rapproche de la gauche socialiste – à l’époque la gauche anarchosyndicaliste – et partage avec sa femme, une militante anarchiste française, de nombreux combats au sein des milieux trotskistes et
anarchistes.

UNE GUERRE FRATRICIDE

En février 1927, un congrès anti-impérialiste réunit des associations en lutte contre la colonisation à Bruxelles. Le natif de Tlemcen est présent
et prononce un discours particulièrement remarqué, dans lequel il appelle au traitement égal des individus et à l’indépendance de l’Algérie.
La même année, la nation algérienne est proclamée à Paris au grand jour par les fondateurs de l’Étoile Nord-africaine. Son mouvement est dissous par le Front populaire une première fois en 1929 et définitivement en 1937, l'obligeant à fonder un nouveau parti. Le Parti du peuple algérien (PPA) voit le jour en 1939 et reprend les structures et objectifs de l’ENA.
Marqué par la culture socialiste, Messali Hadj ne concevait pas la société sur des bases religieuses, mais selon des logiques plurielles et multiconfessionnelles.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, le régime de Vichy, qui est soutenu par les Européens d’Algérie, recherche le soutien de Messali Hadj.
Farouchement opposé à la collaboration, il refuse cette alliance et est arrêté en 1939. Condamné en 1941, il se voit confisquer tous ses biens et est transféré à la prison de Lambèse, un lieu hostile, où les prisonniers sont maltraités. Pour lui, ce sera crâne et sourcils rasés et fers aux pieds. Déporté à Brazzaville au Congo en 1944, il est libéré et amnistié post- Libération, en 1946.

En 1954 Messali Hadj fonde le Mouvement national algérien (MNA) qui devient immédiatement l’ennemi du Front de libération nationale (FLN). D’inspiration socialiste, le MNA est un parti nationaliste jugé trop
bienveillant par les membres du FLN qui se réclament de la lutte armée. Bien qu'opposé à toute forme de violence, Messali Hadj est contraint en 1956 d'armer ses militants pour éviter leur extermination. Lorsque le FLN lance la lutte armée, il ne peut cependant publiquement désavouer son ennemi, tant la propagande du FLN glorifie les maquis et les combats. Les messalistes relégués au rang de réformistes sont jugés trop accommodants envers la société coloniale.

Le paroxysme de la violence entre le MNA et le FLN est atteint le 28 mai 1957, lors du massacre de Melouza, un village du nord de l’Algérie : 374 villageois, soupçonnés d’être des soutiens de Messali Hadj, sont égorgés en pleine nuit par une unité de l’Armée de libération nationale (ALN), la branche armée du FLN. Profondément choqué par le massacre de Melouza, Messali Hadj demande une trêve aux membres du FLN, qu’ils refusent, estimant être « les seuls interlocuteurs légitimes » et les « vrais révolutionnaires intransigeants » face à la France colonisatrice.
En France, la guerre fratricide se poursuit avec une telle violence que toute la direction syndicale du MNA est tuée lors de « règlement de comptes ». Selon l’historien Benjamin Stora, historien et spécialiste de la guerre d’Algérie, cette rivalité dans la métropole est responsable, entre 1954 et 1962, de la mort de 4 000 individus, dont 80 % sont issus des rangs messalistes.

Au-delà des terres algériennes, ce conflit a scellé la victoire du FLN et la défaite du MNA en métropole où l’intelligentsia de gauche était largement favorable au premier. Pour Benjamin Stora, auteur de la bande
dessinée Les Algériens en France, parue à La Découverte en septembre dernier : « Même si Edgar Morin, André Breton ou Albert Camus le soutenait, Messali Hadj a perdu la bataille de l'opinion en 1957 en France face au FLN et aux figures qui le soutenaient telles que Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir ou Claude Lanzmann ».

Même trente ans après cet épisode noir, la communication entre les deux clans est impossible, en témoigne la déclaration d'un ancien membre du FLN dans Les années algériennes, un documentaire conçu par Benjamin Stora en 1991 : « Il est plus important de tuer le traître messaliste que le soldat français » …

« SON NOM A ÉTÉ VOLONTAIRE OUBLIÉ PENDANT PRÈS DE TRENTE ANS »

Favorable à l’autodétermination sur le modèle proposé par de Gaulle, Messali Hadj est exilé en France depuis 1952 lorsqu’il finit par s’incliner devant le FLN. Ce dernier sera d'ailleurs l'unique acteur des négociations avec le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), qui mèneront à la paix et à l'indépendance de l'Algérie en mars 1962.
Alors qu’il a été une figure de proue de l’indépendance de son pays, Messali Hadj est persona non grata dans son pays. S'il obtient la nationalité algérienne en 1965 soit trois ans après les accords d’Évian, il meurt à Paris en 1974, sans jamais être retourné dans son pays. Symbole de ce qu'il représente pour son peuple d'origine, son enterrement en Algérie qui devait être clandestin voit défiler pas moins de 40 000 Algériens. « Cet événement a été une grande manifestation politique d’opposition et une véritable surprise pour le pouvoir, qui ne s’y attendait pas », souligne Benjamin Stora.

Alors qu'il est incontestablement une grande figure de l’Histoire récente de l’Algérie, son nom est rayé de la mémoire collective et des manuels scolaires de son pays, et ce, jusqu'au moment de la décennie noire des années 1990.
« Alors qu’il a été le premier à porter l’idée nationale, son nom a été volontaire oublié pendant près de trente ans. C’est dans les années 1990, lorsque les historiens algériens ont commencé à fouiller dans le passé pour comprendre l’extrême violence qu’ils étaient en train de vivre, qu’ils ont redécouvert ce personnage. Ils avaient besoin de comprendre le présent à l’aune du passé », éclaire Benjamin Stora.
C’est donc avec l’arrivée au pouvoir de Abdelaziz Bouteflika (1937-2021) en 1999 que l’on évoque pour la première fois la figure de Messali Hadj, « pour réconcilier la nation, fédérer les Algériens après la décennie noire », explique Jacques Frémeaux, historien spécialiste de la période coloniale.
Le président algérien – originaire de la région de Messali Hadj – organise même à Tlemcen, ville de naissance de l’indépendantiste et ville encore très messaliste, une rencontre au début des années 2000 à sa mémoire.
Sous la présidence de Bouteflika, des interstices se sont ouverts dans le système officiel, dans les discours, les représentations. Sans assister à des meetings de masse, des événements universitaires permettent d'évoquer le parcours de ce personnage.

« L'HISTOIRE DE MESSALI N'EST PAS FINIE »

Entre 2019 et 2021, les manifestations du Hirak secouent l’Algérie. Les manifestants protestent contre le maintien au pouvoir de Bouteflika pour un cinquième mandat et dans les rues, les jeunes érigent des portraits de Messali Hadj : « Ils portaient des morceaux d’Histoire car ils voulaient que la vraie histoire de leur pays soit connue et reconnue. L’Algérie a été privée de sa mémoire et les Algériens ont beaucoup souffert de cette réécriture, à la fois de l'Histoire et de la mémoire », confie Benjamin Stora.
Et l'historien de poursuivre : « L'histoire de Messali Hadj n’est pas finie. Elle dérange car elle implique de nombreux tabous pour le pouvoir tels que la question de la pluralité politique, des massacres occultés, de la violence, du parti unique… Ce sont de véritables enjeux, par exemple, Melouza reste un tabou absolu. Mais le nom de Messali Hadj est revenu et on ne peut pas l'effacer, tout comme on ne peut pas mettre cette histoire entre parenthèses et parler uniquement du présent. »

Les cinquante ans de sa disparition en juin 2024 n'ont pour autant pas fait l'objet de commémoration officielle. Les autorités algériennes continuent à être mal à l'aise avec de nombreux pans de leur Histoire : «
Il est le symbole que la révolution n’a pas été un mouvement uni et rappelle qu'il y a eu une guerre civile entre nationalistes. Et ça dérange le pouvoir », affirme Jacques Frémeaux. Si le parcours de Messali Hadj est bien présent dans les livres d'Histoire, son enseignement s'arrête en 1954, date à laquelle, selon le pouvoir algérien, Messali Hadj « aurait trahi en passant du côté du colonialisme français ». « C’est comme si on disait que l’Histoire française commençait en 1945, ce n’est pas possible », conclut Benjamin Stora.

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Ouvrages

Hommage à Benjamin Stora, Mucem, Marseille, 31 mai 2018

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