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La participation électorale et la distance à l’égard du politique.

Le 7 septembre 2007, les Marocains se sont rendus aux urnes pour élire leurs députés. Le premier indicateur important attendu était celui de la participation. Elle a été faible, à peine près de 40%. Dans ce pays où règne une monarchie absolue, de nombreux Marocains ne voient pas toujours l’utilité d’élire des députés.

Déjà en 2002, lors de précédentes élections, à peine un électeur sur deux s’était déplacé pour aller voter. Cette abstention massive reste problématique pour la légitimité des institutions, et surtout pour l’existence des partis politiques. Dans une enquête réalisée par des universitaires de Rabat et Mohammédia, entre le 10 et le 20 juillet 2007 à travers le Maroc sur 1.457 individus, en âge de voter, publiée au début du mois de septembre 2007  par le journal marocain, L'ECONOMISTE, on pouvait lire que pour 88% des sondés  « l'opinion des citoyens ne compte pas auprès des hommes politiques ». A peine 7,7% des enquêtés considéraient que les partis politiques avaient une vision stratégique du futur1.

Des partis notabilisés.

Le parti de l’Istiqlal, et c’est une surprise, a remporté le plus grande nombre de députés, devant les islamistes du PJD (Parti de la Justice et du Développement) et les socialistes de l’USFP. Mais au Maroc, les vieux partis parlementaires, apparaissent comme notabilisés, intégrés dans le Maghzen, ce système de contrôle et d’organisation de la société mis en place par la monarchie chérifienne depuis des siècles. Ainsi L’Union socialiste des forces populaires (l’USFP) au pouvoir pendant dix ans, (depuis 1999, avant même la mort du Roi Hassan II ), semble usé, incapable de se renouveler, presque à l’image de ses homologues socialistes européens. L’autre grande formation, l’Istiqlal, ce qui signifie indépendance, est le plus vieux parti marocain, créé dans le combat contre la présence française dans les années quarante. Il résiste donc mieux que l’UFSP, dans la mesure où il fait vibrer la fibre nationaliste, à coloration religieuse et sociale, face aux nouveaux venus, les islamistes du PJD, le Parti de la Justice et du Développement.  Car l’autre facteur essentiel de ces élections, était bien celui de l’apparition d’un courant islamiste politique marocain. Comme dans bien d’autres pays du monde arabe et musulman, les islamistes, qu’ils soient jugés « radicaux » ou modérés » accroissent leur influence dans un environnement social très dégradé. Ils ne sont pas parvenus à accroître leur influence à la faveur de cette élection, mais restent une grande force politique continuant à peser dans la vie politique et culturelle (de nombreux étudiants et universitaires sont proches de ce courant). Les islamistes du PJD autorisés par le pouvoir reste le premier parti en nombre de voix
La presse, en dépit de tous ces efforts, n’arrive à occuper l’espace politique en déshérence. Elle se heurte à des pratiques répressives du régime.  Pendant la campagne électorale, le directeur du journal El Watan a été poursuivi pour divulgation de documents confidentiels dans un dossier sur les circonstances de l’alerte terroriste au Maroc au printemps 2007. Les hebdomadaires Tel Quel et Nichane ont été détruits et saisis le 4 août pour cause d’offense au Roi. Le directeur de ces journaux a été condamné le 24 août à de fortes amendes ce qui met en péril la survie de ses publications. Ces tracasseries touchent aussi Le Journal hebdomadaire à cause d’un numéro spécial sur « un siècle de révolution sociale au Maroc ». Et le journal Al Ousban a été condamné pour « diffusion de fausses nouvelles » concernant un article sur les négociations du Maroc avec le front Polisario, pour le règlement du conflit au Sahara.

Les évolutions sociales.

Le Maroc est classé 124e sur 177 dans les indices de développement, et le taux de chômage est si élevé qu’aucune statistique fiable n’est vraiment disponible. Le taux officiel est de 11%, mais selon la terminologie officielle « toute personne même non rémunérée participant à la production de biens et de services, est considérée comme travailleur ». La moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté et 8% des Marocains sont installés dans de grands bidonvilles comme ceux de Casablanca et de Tanger. Le dénuement culturel est grand, il y a 43% d’analphabètes dans le pays.  Cette situation favorise la progression de l’obscurantisme religieux, et les tendances autoritaires du régime.
D’autres facteurs doivent pourtant retenir l’attention.
C’est au creux des années 1990 que se sont affirmés des évolutions sociologiques irréversibles au Maroc, les ruraux passant en dessous de la barre des 50%. La culture citadine l’emporte progressivement. La modernisation des exploitations et la mécanisation des pratiques agricoles accentuent cette tendance générale. Certes, l’économie reste largement informelle, et gangrenée par la corruption, la fuite devant l’impôt et la contrebande. Mais depuis l’arrivée au pouvoir de Mohammed VI, une reprise économique s’est dessinée, avec une réorganisation de l’appareil de production (installation du système bancaire, modernisation de l’agriculture, ou mise en place d’un tissu de petites entreprises, par exemple dans le textile). Les recettes des investissements et prêts privés étrangers ont augmenté de 35% au premier semestre 2007, atteignant près de 16 milliards de dh, contre 11,8 milliards de dh à fin juin 2006. L’installation d’une usine de fabrication des voitures Renault près de Tanger est significative de cette évolution.
Se joue aussi aujourd’hui une inversion du rapport de force culturel entre les générations, avec le désir de la jeunesse marocaine de voir son potentiel reconnu dans la marche de la société. Le pouvoir a d’ailleurs pris un certain nombre de mesures dont la plus symbolique a été celle de la réforme du Code de la Mudawana, permettant à la femme marocaine de se débarrasser du poids étouffant de la tutelle masculine. Avec de telles évolutions sociologiques et culturelles, on pouvait imaginer que la société marocaine se dirigerait vers plus d’homogénéité. C’est plutôt le risque de fragmentation sociale qui continue de dominer. La segmentation sociale reste la loi et s’accentue même. La montée de l’islamisme peut se lire comme le symptôme d’un lourd déséquilibre social.
Le Maroc peine à sortir des archaïsmes anciens, héritage de la ruralité, et d’un système de domination politique qui semble de moins en moins adapté aux exigences de la modernité.

Le nouveau gouvernement. La place des femmes.

Un mois après les élections, Le Roi Mohammed VI a révélé à la fin du mois d’octobre 2007 la composition du nouveau gouvernement. La première leçon à tirer de cette composition est l’entrée de sept femmes au gouvernement. Le Maroc devient ainsi, et de loin, le premier pays africain à voir autant de femmes accéder à des postes de responsabilité. Le Roi continue ainsi, en dépit de l’opposition des milieux conservateurs allant des islamistes aux nationalistes, sa bataille en faveur de l’émancipation féminine. On se souvient de sa volonté de réforme du code de la Mudawana, ce vieux code de la famille issu des années 50 qui maintenait les femmes marocaines dans une situation juridique d’infériorité. Et des grandes manifestations en 2000, entre adversaires et partisans de cette réforme qui donnait plus de droits aux femmes en matière de garde des enfants ou d’héritage.

Les ministres de souveraineté.

Mais derrière cette forte volonté réformatrice, l’observateur averti peut voir se dessiner un autre paysage politique. Si le poste de premier ministre est logiquement occupé par le dirigeant du parti de l’Istiqlal, Abbas el Fassi, un ancien ambassadeur du Maroc en poste à Paris, la plupart des autres membres de ce gouvernement sont en fait des fidèles du Roi. Il a fallu un mois de difficiles tractations pour mettre en place cette nouvelle équipe de 34 membres, composée de quatre partis politiques, de gauche et de centre-droit. Les vieux partis sont toujours là avec les mêmes leaders. Le PPS, l’ancêtre du parti communiste marocain, a choisi de remettre sur selle Taib Chkili et Khalid Naciri, sur des postes comme l'Education ou la communication. On retrouve les mêmes têtes socialistes de l'USFP: El Yazghi, EL Malki, et Radi à la tête du Ministère de la Justice. Le RNI, parti administratif créé par Hassan II garde les mêmes ministres, mais change les portefeuilles.

Ce gouvernement ressemble étrangement au gouvernement Youssoufi (USFP) de 1997 avec en moins le redoutable et inamovible ministre de l’intérieur, Driss Basri, mêmes partis avec des cartes différentes, mêmes noms avec des pseudonymes différents. Les grands axes de développement, le programme politique, les projets de société, le rôle laissé à l’opposition, reste des secrets d'initiés. Dans cette scène, comment le parlement peut il légiférer et sortir de sa léthargie permanente ? Et que deviendra le parti islamiste, second aux élections législatives, et qui semble avoir disparu des commentaires dans la formation du gouvernement ? Autre disparition des préoccupations : comment parler à une société, où seuls 37 % des électeurs inscrits se sont déplacés aux urnes ?
Ce cabinet regroupe surtout des ministres dits de souveraineté, nommés directement par le Roi : ce sont les Affaires étrangères, l’Intérieur, les Affaires islamiques ou la Défense nationale. Le Palais reprend la main. C’est la fin du « régime des partis » que le défunt Roi Hassan II avait inauguré dans les années 1990 en autorisant le retour les socialistes de l’USFP au pouvoir. Aucun parti ne détient désormais un pôle ministériel importants, et cela montre une fois de plus la puissance de l’Institution monarchique, et l’inutilité relative des élections législatives dans une monarchie exécutive.  Loin de ces jeux politiques, les Marocains regardent ailleurs.

L’urgence sociale.

Le Maroc se trouve confronté à une grave urgence sociale. La hausse des prix qui a ébranlé le pays durant le mois de Ramadan n'est plus considérée comme une tempête passagère, mais plutôt comme une situation structurelle de l'économie marocaine. Cette hausse de prix avait provoqué des manifestations importantes dans tout le pays et le pouvoir avait du annuler la brusque augmentation du pain. L’importance de la question sociale, de la grande pauvreté reste entière. Le journal L’Economiste du le 28 septembre 2997 a publié une discrète information sous le titre « Profession mendiant » où l’on peut lire : « Ils sont près de 195.950 mendiants à opérer dans le royaume, 62 % étant des mendiants professionnels, selon l'enquête nationale sur la mendicité, présentée le 27 septembre à Casablanca par le ministre du Développement social. 51 % sont des femmes, 11% des enfants, et la ville de Casablanca en compte à elle seule 35 000. Le ministère du Développement social élabore un plan de lutte fondé sur l'approche sociale, avec l'intégration des mendiants dans des institutions, et sur l'approche judiciaire, de nombreux mendiants étant organisés en réseau exploitant les enfants et les handicapés ». C’est le défi de la grande pauvreté, toujours présente et qui entrave le développement économique, qui doit être relevé…

Benjamin Stora.


[1] Le sondage a été réalisé par un consortium de centres de recherche, le Centre international des études stratégiques et Gouvernance global (GGC), créé en 2006.

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Hommage à Benjamin Stora, Mucem, Marseille, 31 mai 2018

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