Par Isabelle Dautresme
A Villetaneuse, l’Unef a convié deux figures du débat public, Edwy Plenel et Benjamin Stora, ainsi que Sihame Assbague, du collectif "Stop le contrôle au faciès", à partager leurs réflexions. Sans laisser beaucoup de place aux échanges avec les étudiants.
Villetaneuse, le 2 février 2015. Ils ont mis un peu de temps à arriver mais, au final, ils étaient environ 300 étudiants et personnels de l’université à assister à la conférence-débat "Les jeunes refont la République" organisée par l’Unef (Union nationale des étudiants de France) à l’université Paris 13 Nord. Près d’un mois après les attentats, Edwy Plenel, fondateur de Mediapart, Benjamin Stora, historien et spécialiste de la guerre d’Algérie, et Sihame Assbague, du collectif "Stop le contrôle au faciès", ont, pendant plus de deux heures, exposé successivement leurs analyses.
"Nous avons choisi d’organiser notre débat à l’université de Villetaneuse, car dans une société française fracturée, elle incarne la République. Nous, les jeunes, nous ne voulons pas d’une République morcelée en différentes communautés", déclare d’entrée William Martinet, président de l’Unef, avant de laisser le micro à Benjamin Stora.
L’histoire de la colonisation au cœur du débat
Pour l’historien, "il faut s’interroger sur le rapport entre l’enseignement de l’histoire de la colonisation et la République. Cette dernière est présentée comme porteuse d’universalisme, de lumières et d’égalité. Or, l’histoire coloniale montre une réalité différente. D’où un sentiment de défiance vis-à-vis de la République qui se transmet de génération en génération".
"Les valeurs de la République ne s’apprennent pas mais se vivent".
(S. Assbague)
À mesure que Benjamin Stora déroule son argumentation, les bavardages se font de plus en plus rares. Même les étudiants arrivés en retard, téléphone à l’oreille et verbe haut, sont silencieux comme aspirés par le discours de l’historien. Celui-ci conclut son intervention en insistant sur "l’importance de la connaissance historique pour réfléchir à une meilleure intégration".
À Edwy Plenel de prendre la parole. D’une voix forte, il exhorte la jeunesse à agir et à lutter contre les discours de discrimination. "La République est morte si elle n’est pas celle de tous", prévient-il faisant référence à Nelson Mandela et sa "nation arc-en-ciel". "Sortons de ce moment où on dit 'nous' et 'eux.'"
Puis de poursuivre sur le thème de la laïcité. "La loi de 1905 n’est surtout pas une loi de répression des religions mais une loi de liberté." Applaudissements.
Lutter contre le racisme
Sihame Assbague se saisit du micro. Changement de ton. "Je ne suis pas venue pour faire de grands discours sur la République mais vous dire que ses valeurs ne s’apprennent pas mais se vivent". En réponse à Benjamin Stora, elle explique que le sentiment de défiance qu’elle ressent vis-à-vis de la République n’est venu ni de son père, ni de sa mère mais de son expérience personnelle. "Les a priori dont j’ai été victime, voire les attaques racistes ont entamé la confiance et l’amour que j’avais dans la République française", témoigne la jeune femme, qui prend le temps de raconter quelques anecdotes personnelles "pour permettre à chacun de mieux appréhender la violence du racisme".
Et de poursuivre sur la responsabilité de l’État : "On ne réglera pas la question de l’adhésion aux valeurs républicaines en chantant 'La Marseillaise' dans les quartiers mais en mettant fin à la discrimination, au racisme et à l'antisémitisme", martèle la jeune femme.
Les étudiants craignent les amalgames
Vient le moment du débat avec la salle, écourté faute de temps. Une partie des étudiants en profitent pour quitter l'amphi. Ceux qui restent se disent inquiets face au risque d’amalgame. "Nous nous sentons stigmatisés comme musulmans mais l’islam signifie religion de paix", rappelle une jeune femme. "Vous avez parlé de discrimination mais comment lutter contre ?", interroge un étudiant. Très vite les questions prennent une tournure politique. Comment éviter que le Front national n’accapare le débat ? Quelles réponses apporter pour que de tels événements ne se reproduisent plus ? "Certainement pas en rendant le service civique obligatoire et en contrôlant nos sacs à chaque fois que l’on entre à la fac", commente une étudiante en histoire.
Un jeune homme interpelle Edwy Plenel sur la liberté d’expression. "Elle s’arrête où ?" "Elle est totale et fondamentale. Nous sommes une République, on doit pouvoir tout dire", assène le journaliste. Quant à la réponse apportée par l’État ? "Elle est inadaptée. Au final, nous ne faisons qu’accumuler les dispositions répressives au lieu de nous occuper des causes." Les interrogations sont nombreuses. Et le temps manque. Edwy Plenel est appelé à débattre ailleurs… toujours sur le même thème. Avant de quitter la salle, il lâche : "Vous avez rendez-vous avec votre futur." Le ton ne souffre aucune contestation.