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Quand on aborde avec eux la question de l’élection présidentielle de cette année, les historiens français font souvent une comparaison qui peut, au début, paraitre étrange. La guerre que la France a menée en Algérie, disent-ils, a clivé la société française, ouvrant des crises d’identité et d’intégration qui sont encore des moteurs des politiques, tout comme la Guerre de Sécession qui se cache dans les politiques raciales et régionales qui continuent de consumer les États Unis.

« La guerre d’Algérie était une guerre civile française » a dit Benjamin Stora, le plus important historien du conflit, au cours d’un récent entretien depuis son domicile parisien. En Algérie, les groupes se sont battus pour l’indépendance en mettant fin à 130 ans de règne français. En France, selon Monsieur Stora, la guerre fut une guerre idéologique à propos de « deux conceptions de la nation » : une qui voit la France comme un Empire et l’Algérie au cœur sa grandeur ; et une autre qui rejette le colonialisme. La guerre est également devenue une lutte pour savoir si l’identité française pouvait s’étendre afin d’inclure les Algériens majoritairement musulmans.

Quand la France se retira après sa défaite de 1962, les fusils se sont tus, mais ces tensions à propos de l’identité se sont intensifiées en France. Les colons, ainsi que leurs partisans en France, ont tellement souffert de la perte de l’Algérie que nombreux sont ceux qui appellent à récupérer la gloire perdue de la France, en appuyant leur soutien à Marine Le Pen, la candidate d’extrême-droite à l’élection présidentielle. Les questions autour de l’identité française, causées par la guerre, dressent encore les français les uns contre les autres. Les politiques de nostalgie et de doléances apparaissent comme similaires au Sud de l’Amérique, que Monsieur Stora l’a appelé « Sudisme à la Française ». Si le parallèle a ses limites, il met en lumière a quelle point les disputes sur l’héritage de la guerre d’Algérie, qui sont souvent trop pénibles pour l’aborder directement, se répercutent sur l’élection présidentielle française, qui se tiendra ce dimanche.

« C’était l’Algérie qui était le problème »

Environ un million de colons, connus sous le nom de pied-noir, ont fui l’Algérie après la guerre. Beaucoup arrivèrent dans les villes du sud où Madame Le Pen jouit d’un large support aujourd’hui, et qui sont parsemés de monuments semblables à des pierres tombales à la gloire du territoire perdu. Les écoles françaises sont sommées par la loi d’enseigner les bénéfices du colonialisme français. En conversant avec des votants de la région, les questions sur des sujets apparemment disparates sur la situation politique actuelle – immigration, valeurs républicaines française, lutte contre l’antisémitisme, le soutien croissant au Front National – reviennent toujours à l’Algérie, comme le suggère Monsieur Stora. A propos de l’immigration, Christophe Tellier, un plombier de Fréjus, a parlé des harkis, les Algériens qui ont combattu aux côtés des militaires français pendant la guerre et qui ont émigré en France par la suite. « C’était l’Algérie qui était le problème, dit Monsieur Tellier. « Et maintenant ce sont les enfants des harkis qui sont le problème ». Il ajouta : « Ces immigrés, j’espère qu’ils ne vont pas avoir tous ces avantages dont ils ont le droit aujourd’hui. J’espère qu’on le retirera ».

Tout comme dans le Sud de l’Amérique, le souvenir de la défaite se mélange aux conséquences sociales d’aujourd’hui. Les citoyens français ont perdu leur statut privilégié qu’ils avaient autrefois sur les sujets musulmans et arabes, une transition qui émaille le débat présent sur l’immigration et le traitement des communautés musulmanes par la France. Pour Monsieur Stora, l’Algérie est devenue un moyen d’exprimer « la nostalgie d’un temps perdu, d’un temps de la hiérarchisation ethnique ». Terrence Peterson, un historien de l’Université Internationale de Floride, comparait les débats autour de l’Algérie à ceux autour du drapeau Confédéré aux Etats-Unis. « L’Histoire est une manière de parler de la relation entre la France avec ses minorités », dit Monsieur Peterson. « Tout comme le drapeau Confédéré, cela a une signification très différente selon les personnes ». Pour ceux qui considèrent que l’immigration ou l’Union Européennes sont des attaques contre l’identité française, l’Algérie représente un temps où la France était grande et un moyen d’argumenter contre la compromission de cette grandeur à jamais. Compromission qui se fait soit en s’inclinant devant l’Union Européenne ou en élargissant l'identité française pour accepter les nouveaux arrivants.  Madame Le Pen a habilement joué de cette nostalgie, en disant que le colonialisme « a beaucoup apporté, en particulier à l’Algérie ». Après qu’Emmanuel Macron, son opposant centriste à la présidence, a qualifié l’action de la France en Algérie de « crime contre l’humanité » et « une partie de cette histoire à laquelle nous devons faire face » pendant un voyage là-bas, il a fait face à un levé de boucliers. Gérald Darmanin, maire et membre du parti de centre-droit Les Républicains, a accusé Monsieur Macron de « cracher sur les tombes » de ceux qui sont morts en Algérie « pour une France qu’ils aimaient ».

France révolutionnaire ou France impériale

La guerre d’Algérie a divisé la France entre deux visions qui jouent sur la politique d’aujourd’hui, selon Monsieur Stora.

Une conception définit la France selon les valeurs révolutionnaires, et plus particulièrement l’égalité et la liberté, que beaucoup ont trouvé mis à mal avec la colonisation. Le règne de 130 ans en Algérie a culminé dans une identité impériale qui mélangea des valeurs comme la laïcité avec le nationalisme et la hiérarchie raciale du colonialisme. La dispute de savoir s’il fallait rester ou pas en Algérie a mené la France au bord de la guerre civile qui a été évitée par le retrait de l’Afrique du Nord. Mais les problématiques culturelles et d’identité n’ont-elles jamais été résolues.

Les divisions se sont creusées avec l’arrivée soudaine d’environ un million de pied-noir et des milliers de harkis, suivis par de nombreux Algériens venus en France pour travailler. Le conflit idéologique à propos de l’identité française, loin d’être éteint, a été importé sur le sol français. Jean-Yves Camus, un analyste à l’Institut français des relations internationales, fait remonter les fondamentaux du Front National à l’opposition populaire à quitter l’Algérie, culminant avec la tentative ratée de coup d’Etat par des officiers militaires. Jean-Marie, le père de Madame Le Pen, qui a fondé le parti, a maintenu cet « étincelle » d’activité d’extrême droite selon Monsieur Camus.

Intégration et valeurs fondamentales

Jennifer Sessions, une historienne de l’Université d’Iowa, dit que les hommes politiques d’extrême droite française ont utilisé le langage de la colonisation pour parler à propos de la peur de l’immigration, en prévenant que la France risquait de se faire « coloniser » par les immigrants. Le Front National a établi un parallèle subtil entre les combattants de l’indépendance algérienne et les instabilités dans les quartiers (banlieues) d’immigrants d’aujourd’hui.  La gauche a aussi utilisé l’Algérie de manière métaphorique, dressant un parallèle entre les abus de l’ère coloniale et la surveillance des musulmans aujourd’hui.

Mais la controverse de ces arguments conduit à obscurcir un problème plus profond : les débats autour de l’intégration des immigrants ne peuvent pas être résolus sans accord sur les valeurs fondamentales auxquelles les nouveaux arrivants doivent consentir. La question a été posée en Algérie, mais jamais répondue. Certains ont soutenu que les Algériens pourraient s’intégrer seulement s’ils abandonnaient leur foi et leur culture ; d’autres, que les chrétiens français devaient élargir leur sentiment d’identité pour faire de la place, et d’autres enfin, que la France n’était que pour les français. Ces désaccords continuent de diviser la classe politique, même s’ils sont maintenant abordés au langage subtil de l’intégration et de la laïcité.

« Marine Le Pen utilise le vocable de la République, mais dans un sens colonial » dit Monsieur Stora, faisant référence aux demandes de l’ère coloniale que les Algériens s’imposent à eux-mêmes la culture française. L’effet, dit-il, est que les étrangers « ne peuvent toujours pas avoir accès à la République ».

Une droite divisée

Quand Charles De Gaulle, le président nationaliste, s’est retiré de l’Algérie après la défaite de 1962, il a ouvert une brèche entre les Français de centre droit et ceux d’extrême qui ne s’est jamais refermée. La popularité immense de De Gaulle a conduit les électeurs de centre droit à le soutenir dans son abandon de l’Algérie. Mais l’extrême droite ne le lui a jamais pardonné.

« Ils voulaient physiquement tuer De Gaulle », dit Monsieur Stora à propos de l’extrême droite du début des années 60. « Il y a eu 4 tentatives d’assassinats contre lui ». Même de nos jours, les principales figures de la vie politique ont beaucoup de mal à réconcilier le grief national à propos de l’Algérie avec la position de l’eshtablissement sur la fait que De Gaulle avait raison de se retirer.

Le Front National, qui a été pendant longtemps le parti d’extrême droite le plus populaire d’Europe, a prospéré en prenant en considération le nationalisme français. Cette colère fait écho à la fureur populiste envers l'ensemble de l'Union européenne et les élites, qui sont perçues comme ayant vendu le peuple. Mais il a été particulièrement fort en France, amplifié par l'humiliation persistante et la nostalgie d’une identité nationale qui aurait été perdue dans une partie de l'Afrique du Nord, qui était autrefois française.

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Ouvrages

Hommage à Benjamin Stora, Mucem, Marseille, 31 mai 2018

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