Abdelmadjid Merdaci et Benjamin Stora
Pour la France, « l’Algérie est une défaite du nationalisme français, qui devait céder à une forme de nationalisme universel».
Cette formule à thèse on la doit à l’historien Benjamin Stora, invité samedi à Constantine à s’exprimer sur son parcours personnel d’abord, et professionnel ensuite. Face au Pr Abdelmadjid, Merdaci, les deux historiens et complices dans le travail ont dévoilé en «live» une tranche de leur dialogue sur l’histoire et la mémoire algéro-française.
Ce premier numéro des entretiens «Houna Qassantina», un troisième concept qui s’ajoute aux «Zinzins du Café Riche», et le forum constantinois lancés en juin dernier avec un franc succès, a eu lieu au palais de la culture Al Khalifa. D’ailleurs, l’espace de trois heures, ce fantomatique «palais de la culture» avait retrouvé sa vocation, accueillant un public nombreux et attentif.
Merdaci, l’interviewer, a emprunté la méthode classique pour faire parler son invité. La méthode qui sied le mieux d’ailleurs à l’occasion sachant que Stora est originaire de Constantine. Cette ville qu’il devait quitter enfant en juin 1962, à l’heure où la quasi-majorité de la communauté juive algérienne avait choisi la France, ultime épisode d’un long processus de séparation sous l’effet de la politique coloniale qui date d’avant le décret Crémieux.
Du quartier populaire Charaa à l’avenue Mozart au 16e arrondissement de Paris, la cassure, le déracinement furent difficiles à dépasser pour l’enfant Stora, et dévastateurs pour la majorité des exilés qui, précise Benjamin, étaient d’extraction rurale, à l’instar de la grande famille Stora, originaire de Khenchela.
A une question de savoir si ce départ était motivé par des menaces à l’époque — question posée par un jeune qui précise être né en 1990 — Stora tente une mise en contexte pour relativiser les jugements, notamment l’incompréhension, voire l’hésitation à laquelle était confrontée la majorité de la communauté juive algérienne. Hésitation due à «la temporalité politique qui touche tout le monde, y compris Messali et Abbas, ou encore Albert Camus.
Les juifs aussi croyaient qu’il suffisait d’étendre l’égalité politique aux musulmans pour éteindre le nationalisme. Ils ne comprenaient pas qu’il s’agissait de décolonisation.» A quoi il ajoutera l’élément déterminant dans le choix de l’exil, soit l’élimination de Ferhat Abbas en 1961. «Les juifs disaient : ‘‘Abbas on connaît, mais le nouveau non’’».
Cette réponse a poussé Merdaci à apporter des clarifications, rappelant que «le FLN avait lancé un appel à cette communauté lui demandant de prendre en charge les revendications de la patrie algérienne, et que les représentants de la communauté avaient pris position en disant : «Nous sommes Français, ce qui a impacté la conduite des uns et des autres». Cela dit, ajoutera-t-il, tous les juifs algériens n’ont pas pris fait et cause pour l’Algérie française, citant ceux ayant rejoint les rangs du FLN/ALN comme les Timsit, William Sportisse, etc., ou même parmi les expatriés.
Intégration-reconstruction
L’intégration se fera au prix d’une chute sociale pour la famille et grâce à l’instinct de survie, face à «la machine assimilationniste française qui fonctionne par effacement des traces identitaires». Mais vint mai 1968 qui constitue un tournant dans la vie de Benajmin, notamment sa période extrême gauche.
Etudiant, Benjamin — entre plusieurs révolutions — choisit de mener un travail sur la Révolution algérienne sur conseil de son professeur. Il rencontre d’abord Djneina qui lui confie les mémoires de son père Messali Hadj, puis les opposants algériens exilés en France et en Suisse, ceux du FFS et du PRS, notamment, d’où son premier ouvrage publié en 1985 et intitulé Dictionnaire biographique de militants nationalistes algériens, 1926-1954.
A la question de savoir quels sont les faits ayant conduit au clash FLN/MNA, il répond qu’il est impossible d’établir la vérité, ajoutant que Messali Hadj n’était pas contre le principe de la Révolution, mais qu’il ne comprenait pas qui étaient ces jeunes, et quelles étaient leurs motivations. Pour l’historien, le 1er Novembre 1954 représente le changement du leadership au sein du mouvement national.
Survolant sa carrière universitaire, riche en bibliographies, Stora livre à l’assistance quelques moments-clés qui dévoilent la fabrication de chaque œuvre. La gangrène et l’oubli, par exemple, est parti, explique-t-il, de la question : comment les peuples construisent — ou pas — leurs mémoires de guerre (les brûlures de la guerre).
C’est un ouvrage qui n’a pas manqué de soulever la polémique parmi les intellectuels algériens, indique Merdaci. A quoi répond l’invité «agitateur d’idées» en soulignant que «l’historien ne fabrique pas des histoires définitives à la manière des politiques». L’entretien durera 90 minutes.
Nouri Nesrouche