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Sfeir Stora S’il y a bien quelqu’un d’atypique dans le paysage universitaire français, c’est Benjamin Stora. L’homme aurait pu se contenter d’enseigner et de s’occuper de ses étudiants. Sauf que l’Algérie, où il est né, le titillait : il l’a quittée à douze ans, emportant avec lui non seulement des souvenirs d’enfance mais aussi celui de ses camarades de classe, les saveurs de la Méditerranée, pour connaître l’exil, comme il le dit si bien, les appartements étriqués d’un Paris qui connaissait pourtant les Trente Glorieuses. Happé par l’extrême-gauche au lendemain de mai 1968, Stora s’y trouve à l’aise et commence des études d’histoire.

C’est paradoxalement le très catholique René Rémond qui lui suggérera de travailler sur l’Algérie. À partir de ce moment, sa vie sera faite, comme il l’explique lui-même, de choix subjectifs. L’Algérie certes, mais pas les vainqueurs de la guerre. Toujours à contre-courant, bien entendu ; les juifs d’Algérie, mais pas les religieux, ni les orthodoxes; les nationalistes de Messali Hadj au MNA, plutôt que ceux du FLN. En un mot, pas d’idées reçues, mais une sorte de romantisme qui le pousse à mettre en lumière les oubliés de l’histoire – de l’histoire officielle.

Stora l’empêcheur de penser en rond, celui qui ne se contente pas de rester dans ses livres, mais qui va sur le terrain, sans cesse… N’hésitant pas à s’engager contre les extrêmes, notamment les islamistes, qui se mettent à lui envoyer des lettres accompagnées de petits cercueils, ce qui ne manque pas d’émouvoir jusqu’aux hautes sphères de l’État. Ce fut l’époque d’un second exil, très loin, au Vietnam, où l’historien qu’il est découvre un autre monde. Mais la mémoire le taraude, la sienne et celle de l’Algérie confondues. Alors il s’en rapproche doucement, en passant quatre ans au Maroc avant de rentrer dans son nouveau bercail : la France, où l’attend un poste à l’Institut des Langues orientales.

Sa mémoire lui jouant des tours, il se retrouve proche de Camus l’Algérien, l’homme de gauche, Camus l’anti-Sartre, en lisant Le Premier homme, dernier ouvrage du philosophe longtemps oublié par nos maîtres d’école et par tous nos ex- nouveaux philosophes. Stora le gêneur, clamant haut et fort que l’historien a le droit d’utiliser sa mémoire comme un des fondements de ses travaux de recherche. Qui continue d’aller sur le terrain, et surtout d’être présent sur tous les fronts. La tragédie familiale qui le frappe, à travers la perte d’un enfant, le plonge encore plus dans le travail, avec l’énergie du désespoir. Et cette vie d’excès aboutit à une crise cardiaque qui sonne la fin de cette fuite en avant.

Le Méditerranéen qu’il est apprend désormais à relativiser. Revenu de ses rêves de défendre la veuve et l’orphelin, Stora s’attelle, avec le philosophe franco-tunisien Abdelwahhab Meddeb, à un immense ouvrage sur l’Histoire des relations entre Juifs et musulmans des origines à nos jours1. Avec le souci de rapprocher, Stora dérange ses collègues académiciens qui trouvent qu’il déborde trop de son statut d’universitaire. Mais l’homme ne changera pas : il soutient la campagne présidentielle de François Hollande dans sa ville d’Asnières en 2012

  1. Éditions Albin Michel, octobre 2013, 1150 p.

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tout en restant lucide sur les limites de la gauche au pouvoir : bien que la droite l’empêche d’être le commissaire d’une exposition consacré à Albert Camus, sa famille politique ne fait rien pour le repêcher. Mais il persiste et signe : Camus reste pour lui un repère.

Non pas la philosophie de l’absurde, mais l’écrivain aux pieds duquel sont vrillés l’Algérie et la Méditerranée, l’écrivain amoureux de la vérité, ce qui l’amènera au conflit avec Sartre pour lequel la Révolution justifie les accommodements avec la vérité.

Il reste Stora l’homme, le citoyen, laïc, chez qui l’intelligence du cœur n’a rien à envier à celle de l’esprit, fidèle en amitié, loyal à ses idées, au risque parfois de perdre certains appuis. L’homme qui aime à se regarder dans le miroir sans être obligé de baisser les yeux, denrée rare peut-être, mais c’est celle qu’on préfère.

A.S

Les Cahiers de l’Orient nº 114 - Printemps 2014

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REPERES

  • • 2 décembre 1950 : Naissance à Constantine.
  • • Juin 1962 : Exil en France.
  • • Mai 1968 : Rejoint le groupe trotskyste Alliance des jeunes pour le socialisme.
  • • 1978 : Thèse d’histoire sur Messali Hadj à l’EHESS.
  • • 1980 : Participe à la fondation du syndicat étudiant UNEF-ID.
  • • 1984 : Doctorat en sociologie à Paris VII.
  • • 1991 : Histoire de l’Algérie coloniale (1830-1954), La Découverte.
  • • 1993 : Histoire de la guerre d’Algérie, La Découverte.
  • • 1995 : Documentaire Algérie, années de cendres, France 3.
  • • 1998 : La gangrène et l’oubli : la mémoire de la guerre d’Algérie, La Découverte.
  • • 2000 : La guerre invisible, Algérie années 90, Presses de Sciences Po.
  • • 2002 : Documentaire L’Indépendance aux deux visages, France 5.
  • • 2006 : Les trois exils, Juifs d’Algérie, Stock.
  • • 2009 : Chevalier de la Légion d’honneur.
  • • 2012 : Documentaire Guerre d’Algérie, la déchirure (avec Gabriel Le Bomin),

France 2.

  • • 2013 : Histoire des relations entre Juifs et musulmans des origines à nos jours, co-direction de 120 chercheurs (avec Abdelwahhad Meddeb), Albin Michel.

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Ouvrages

Hommage à Benjamin Stora, Mucem, Marseille, 31 mai 2018

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