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Ils viennent de l’autre côté de la Méditerranée, de l’Algérie. De tout temps, ils ont fait figure d’« étrangers », d’« immigrés », de « musulmans » aux yeux des Français de métropole. Toujours à part, inassimilables. Indispensables, aussi. Que serait la France d’aujourd’hui sans ces immigrés qui l’ont aidée à bâtir sa croissance, après guerre et au-delà ?

Etrangers en terre familière, désirés puis rejetés lorsque le vent de l’Histoire a tourné, les Algériens ont immileft"gré en France depuis le début du XXe siècle. Colporteurs partis de Kabylie pour Marseille, bâtisseurs du métro parisien, soldats de la première guerre mondiale, manoeuvres et terrassiers durant l’entre-deux-guerres, ils sont près de 100 000 en 1939.

A cette époque, I’Algérie, c’est la France. Comment, dès lors, nommer ces « sujets » de l’empire, paysans égarés dans les grandes cités industrielles, hommes seuls, sans famille ? Ils resteront longtemps des « hommes sans nom ». L’indépendance de l’Algérie, acquise en 1962, leur donnera une identité, sinon un statut, à la mesure de leurs états de service. A leurs descendants d’acquérir en cette fin du XX e siècle ce qu’on leur a refusé à eux, une place à part entière dans la société française. Certains s’y emploient. Avec succès.

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’émigration des Algériens vers la métropole se poursuit sur une grande échelle. De 1947 à 1953, les services d’immigration comptabilisent 74 000 arrivées en France et 561 000 retours, soit une différence de 185 000. La nature de cette immigration change. Elle est moins mobile, plus sédentaire. La Kabylie n’est plus le seul grand réservoir de main-d’oeuvre. Dans une moindre mesure, le département d’Oran, le Constantinois et même les territoires du Sud (le Sahara) fournissent un gros contingent de migrants.

Cinq régions françaises font figure de pôles d’attraction : l’Ile-de-France et Paris ; les Bouches-du-Rhône et Marseille ; le Rhône et Lyon ; le Nord et l’agglomération Lille-Roubaix-Tourcoing ; la Moselle, enfin, en plein essor industriel.

Après 1945, la population algérienne a donc changé. Elle n’est plus dominée par les célibataires vivant dans des cafés-hôtels, en groupes fermés. Les nouveaux arrivants sont sensibles au brassage, au va-et-vient perpétuel des grandes villes industrielles. L’héritage du passé perdure, métiers pénibles et « ghettoïsation » dans l’espace urbain. Mais les situations varient beaucoup d’un groupe d’immigrés à l’autre, selon les villes et les quartiers.

Les Algériens qui débarquent en métropole dans les années 1945-1950 sont plus jeunes (entre vingt-quatre et vingt-neuf ans) que ceux de l’entre-deux-guerres, âgés de vingt-huit à trente-quatre ans. Leur niveau d’instruction et de qualification est relativement plus élevé (les premiers centres d’apprentissage ont été créés en Algérie). Et, surtout, surgit un phénomène qui va bouleverser les contours de la société algérienne en France : la migration familiale.

Une enquête du ministère de la santé et de la population évalue, en mai 1952, le nombre de familles musulmanes installées en France à environ 3 400. Une autre étude, réalisée en août 1953 par le ministère de l’intérieur, aboutit au chiffre de 5 000 familles et d’environ
11 000 enfants. La prolétarisation des paysans algériens dans les villes ouvrières a métamorphosé des familles d’origine paysanne en familles ouvrières. Les liens avec les ascendants se distendent. La primauté du couple conjugal finit par l’emporter sur les autres liens de parenté. C’est dire si le choc culturel est profond.

L’ouvriérisation consolide, enracine l’immigration. En 1954, la main-d’oeuvre algérienne est surtout employée dans les travaux publics
(32 % de cette main-d’oeuvre) et le bâtiment (à 38 %). Puis dans les industries mécaniques (20 %). Enfin, dans la production des métaux (13 %) et les charbonnages (6 %). L’immigration ouvrière algérienne a ses entreprises de prédilection, les Charbonnages de France ou la régie Renault.

Syndicalement parlant, les Algériens adhèrent massivement à la CGT et participent à de nombreuses luttes revendicatives dans les usines. Politiquement, ils se tiennent à distance du Parti communiste, auquel ils reprochent son désintérêt pour la question nationale algérienne. L’islam renforce cet éloignement idéologique. A l’heure où éclatera la guerre d’Algérie, le 1e novembre 1954, plus de 10 000 militants seront membres de la Fédération de France du mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques. Cette organisation indépendantiste algérienne, dirigée par Messali Hadj, encadre fortement l’immigration ouvrière en France.

Le recensement de 1954 dénombre 211 000 Algériens en métropole, celui de 1962, 350 000. A la même époque, le ministère de l’intérieur avance le chiffre de 436 000. Indépendamment de la question de savoir qui est citoyen algérien et qui ne l’est pas en 1962, année du recensement en France et de l’indépendance de l’Algérie, un constat s’impose : l’immigration a doublé entre 1954 et 1962, très exactement pendant la guerre d’Algérie. Les bouleversements de la société rurale algérienne expliquent en grande partie ce bond migratoire. Les regroupements de la population paysanne par l’armée française et l’abandon partiel ou total des terres cultivées poussent cette population-là au départ.

A la même époque, la France connaît un boom économique vertigineux. Les « bras algériens », au bas de l’échelle sociale, facilitent le grand bond en avant des « trente glorieuses », ces trois décennies de croissance continue auxquelles les Français ne peuvent faire face seuls.

Après l’indépendance de l’Algérie, les deux Etats, français et algérien, tentent de s’accorder sur la présence d’Algériens en France. Les discussions, difficiles, portent sur les flux migratoires, les conditions de vie des émigrés et leur durée du séjour. Les accords de 1962, qui entérinent l’indépendance de l’Algérie, définissent ainsi les droits et les devoirs des ressortissants des deux pays. Quatorze articles sont consacrés aux Français d’Algérie ; deux seulement aux Algériens en France. A lire les articles 7 et 11, les Algériens, en particulier les travailleurs algériens, bénéficient des mêmes droits que les Français, à l’exception des droits politiques, et jouissent de la liberté de circulation entre les deux pays.

L’Histoire va se charger de chambouler ce bel édifice. Les pieds-noirs quitteront en masse l’Algérie. En sens inverse, l’émigration de travailleurs algériens prendra l’allure d’une véritable hémorragie de l’Algérie vers la France.

Pourquoi le pronostic initial a-t-il été déjoué ? Au cours des mois d’avril, mai et juin 1962, à la suite des accords d’Evian, de nombreux Algériens résidant en France étaient revenus en Algérie sur décision de la Fédération du FLN, dans « leur » pays qui manquait alors cruellement de cadres. Mais sept années de guerre d’indépendance étaient passées par-là, qui expliquent la reprise de I’émigration vers la France dès l’été 1962. Sept années marquées par les destructions et des déplacements de population ; par l’acharnement de l’OAS (Organisation de l’armée secrète, combattant pour l’Algérie française) à réduire à néant les infrastructures du pays ; par l’exode rapide des pieds-noirs à la veille de la proclamation de l’indépendance et par l’arrivée brutale sur le marché de l’emploi de dizaines de milliers de détenus algériens libérés ou de combattants démobilisés.

Du 1er septembre 1962 au 11 novembre inclus, 91 744 entrées d’Algériens sont enregistrées dans les ports et les aéroports. Dans le même temps, les services officiels dénombrent 45 043 sorties. La communauté algérienne de France s’accroît ainsi, durant cette courte période, de plus de 46 000 personnes. Cette nouvelle donne fait voler en éclats l’accord de 1962. Un nouvel arangement s’impose. De part et d’autre de la Méditerranée, on envisage de mettre en place un contrôle des « flux » afin de maintenir ceux-ci dans des limites « raisonnables ». On rêve d’une émigration contrôlée comme au lendemain des deux guerres mondiales, époques de reconstruction pour la France. Différence essentielle : la négociation aura lieu entre deux Etats souverains. Pour la première fois, il n’est plus question de « métropole » ni de « colonie ».

Le 9 janvier 1964, un accord est conclu entre le ministre des affaires sociales du gouvernement algérien et le ministre français du travail. Trois dispositions méritent d’être mentionnées. « Dans l’immédiat et jusqu’au 1e juillet prochain, prévoit l’accord, les arrivées nouvelles des ressortissants algériens en France seront déterminées en fonction des problèmes posés actuellement aux économies des deux pays. » L’accord ajoute que « les arrivées de travailleurs algériens seront fixées en fonction des disponibilités en main-d’oeuvre de l’Algérie et des possibilités du marché français de l’emploi, que le gouvernement français fera connaître trimestriellement au gouvernement algérien ». Enfin il est entendu que « l’établissement en France des familles des travailleurs aIgériens doit être (...) conditionné par l’existence d’un logement ».

Pour autant, l’immigration ne faiblit pas. Au printemps 1965, le cap de 600 000 Algériens en France est atteint. La pression migratoire impose un troisième accord, pour tenter de prévenir et maîtriser son évolution. L’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 va ainsi limiter la liberté de circulation prévue par les accords d’Evian. Le contrôle aux frontières se veut plus sévère, plus sélectif que par le passé. En France, l’immigration est désormais de la compétence du ministère de l’intérieur, non plus du ministère du travail... Un tournant se dessine.

Le 20 septembre 1973, le président algérien, Houari Boumediène, suspend l’immigration vers la France. Il entend protester contre une vague d’attentats racistes qui frappe le Midi et d’autres régions françaises. Mais c’est aussi l’année de la « guerre du Kippour » et de son onde de choc qui atteint bientôt les pays occidentaux. Les prix du pétrole s’envolent. La crise économique s’installe et avec elle la crainte du chômage.

Nous sommes en juillet 1974. Valéry Giscard d’Estaing vient d’être élu président de la République. Sans tarder, le gouvernement français décide l’arrêt de toute immigration, y compris de l’immigration familiale, qui est ensuite de nouveau autorisée. Malgré cela et en dépit d’un semblant de retours en Algérie, la communauté algérienne va continuer à croître jusqu’en 1975 : 845 000 au 31 décembre 1973, 871 000 au 31 décembre 1974, 884 320 au 31 décembre 1975 (statistiques du ministère de l’intérieur).

En ces années 70, la question du « nom » de ces migrants d’outre-Méditerranée, de leur identité réelle, ne se pose plus. Les Algériens entrent maintenant dans la catégorie des « étrangers » travaillant en France. A observer cependant la multiplication des agressions racistes dont ils sont victimes, ils pâtissent toujours des séquelles du passé colonial. Le poids de la guerre d’Algérie pèse encore sur eux, revanche inavouée de ceux qui ont « perdu » l’ancienne colonie et que traduit à l’occasion le vote en faveur du Front national.

Leurs enfants ou petits-enfants ont choisi, eux, de vivre en France, le pays où ils sont nés. On les trouvera aux avant-postes du combat contre le racisme et pour l’égalité citoyenne dans les années 80-90. Ils entendent respecter la mémoire de leurs pères, dont la majorité étaient partisans de l’indépendance algérienne, et, en même temps, être des citoyens français à part entière.

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Hommage à Benjamin Stora, Mucem, Marseille, 31 mai 2018

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