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La mémoire

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Monsieur STORA

Emile Temime a parlé de la re-création par rapport à l’inexistence de preuves visuelles. Un travail de création existe sur les bidonvilles, plusieurs films de fiction ont été réalisés dont deux me viennent à l’esprit. Le premier, "Vivre au paradis" de Boualem Gerdjou, sorti sur les écrans en 1999, est une re-création du bidonville de Nanterre dans les années 60 : 

et un film algérien qui s’appelle "Les sacrifiés" (1982) d'Okacha Touita où il a reconstitué les bidonvilles des années 60 de la guerre d’Algérie. C'est un film de fiction passé inaperçu au moment de sa sortie. Il raconte l’histoire de la Fédération de France du FLN, les affrontements avec le MNA en 1958-1960 dans les bidonvilles.

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Monsieur STORA

Merci de m’avoir invité à Marseille pour écouter les expériences qui se mènent aujourd’hui. Je ferai avec vous une sorte d’échantillonnage de réflexions autour des rapports entre mémoire et histoire. Lorsque j’ai commencé à travailler sur cette question de la mémoire en 1989/1990 – il y a presque vingt ans – en faisant le livre que vous avez cité "La gangrène et l’oubli" qui a été publié en 1991, à l’époque le thème de la mémoire dans les études historiques était très faible. On parlait très peu de rapport à la mémoire, il y avait eu effectivement "Les lieux de mémoire" de Pierre Nora, sortis au début des années 80 mais avec un grand absent, la figure du colonisé, de l’immigré. Il avait fait un grand travail sur les lieux de la mémoire, de la Nation, de la République en France mais il y avait ces grands absents qu’on a peu relevés à cette époque. Il existait le travail d’Henri Rousseau sur le syndrome de Vichy paru en 1987, mais pratiquement, ce champ d’investigation autour des notions de mémoire était très en friche, il n’existait pas.
Il faut déjà s’interroger sur l’apparition, le déferlement, l’explosion du thème de la mémoire dans l’ensemble du champ interdisciplinaire de l’histoire, de la sociologie, de l’économie, de la politique. On voit bien à travers le monde associatif ce rapport à la mémoire et à l’identité, un thème qui a littéralement explosé dans les vingt dernières années. Et ce n’était pas du tout le cas à la fin des années 1980 et au début des années 1990.

Il faut peut-être s’interroger sur cette sorte d’émergence très puissante du thème mémoriel dans les débats intellectuels et politiques français aujourd’hui, au regard d’une crise du politique et des idéologies collectives. On se rabat donc davantage sur la mémoire, sur l’individu, sur la personne. La crise du lien social, national provoque un repli sur des parcours individuels, sur des rapports traumatiques. La crise des idéologies collectives, et celle des engagements politiques, très forts jusque dans les années 70/80, engendrent l’interrogation sur le rapport personnel, traumatique qu’on peut avoir avec l’histoire. Les luttes sociales sont minimisées, ainsi que des engagements politiques collectifs, tout simplement.

Dans ce sens, quand j’ai commencé à travailler sur l’immigration, ce qui était à l'ordre du jour dans les travaux sur l'immigration était essentiellement, à la fin des années 70 et au début des années 80, la dimension sociale et politique. Ils faisaient l’objet de travaux très savants, érudits et je ne vais pas citer ici l’ensemble des travaux d’Emile Temime qui nous a fait l’amitié d’être avec nous aujourd’hui. Cette question sociale, politique, occupait l’ensemble des préoccupations des chercheurs, des militants et du monde associatif. On disait d'ailleurs à l’époque, les syndicats plus que le monde associatif. Je reste un peu archaïque en reprenant une terminologie ancienne, aujourd’hui on ne parle pas de travailleurs, de salariés, de syndicats, mais de partenaires sociaux, ou d’agents d’ambiance. Les mots ont changé mais en fait, le syndicalisme, le mouvement ouvrier était un facteur d’intégration des étrangers dans la nation française au sens classique du terme. Ils remplissaient cette fonction d’éducation, d’instruction, de mobilisation politique et citoyenne. Il permettait à ce que des étrangers – on ne disait pas encore des immigrés –, entrent et accèdent à la dignité d’acteur social et politique à l’intérieur de la société française. C'était à peu près en ces termes-là, aujourd’hui disparus, qu’on abordait le problème de la place des étrangers en France. Et les dimensions dites identitaires, personnelles n’étaient pas véritablement prises en charge, analysées, exploitées. Ce qui était aussi, par parenthèses, une faiblesse.

Je voulais simplement commencer par là pour vous situer le panorama, les enjeux des débats d'aujourd'hui, en 2007. Nous sommes passés des luttes sociales et politiques aux enjeux mémoriels, des enjeux mémoriels aux enjeux nationaux, et des enjeux nationaux à l’identité nationale, toujours quand il s’agit de l’immigration. Réfléchissez à ce glissement des mots et des sens dans les trente dernières années. Force est de constater qu’en matière de travaux sur les étrangers en France, il y a eu ce glissement, en particulier dans le vocabulaire journalistique, durant les trente dernières années, et la mémoire est devenue la question de référence principale, déterminante, décisive.

Les travaux des historiens par rapport au problème de mémoire se fondent essentiellement sur des archives, des traces écrites et en particulier celles qui viennent de l'Etat. A la fois donc, des archives d’en haut, et des archives écrites qui viennent "d’en bas", c'est-à-dire de ceux qui font la vie politique, publique, sociale. Et, à côté de ces archives en forme de traces écrites, apparaissent des sources nouvelles, les archives visuelles, les images qui déferlent autour de nous, à profusion, une sorte de robinet perpétuellement ouvert. Et, naturellement, les historiens sont littéralement assaillis par le monde des images, par les murs d’images qui se déversent sur eux, les obligeant à confronter sans arrêt, avec une grande méfiance, ces images aux traces écrites.

Entre ces deux sources très importantes, se trouve une autre source intermédiaire qui a surgi depuis une trentaine ou une quarantaine d’années : les archives orales, c'est-à-dire les entretiens, la mémoire de ceux qui parlent, se souviennent, qui disent ce qu’il s’est passé. Et quand on est historien de l’histoire contemporaine le problème du rapport aux archives orales est décisif puisqu’il s’agit de capturer une trace essentielle de ceux qui vont partir, disparaître, qui ne seront plus là. Et c'est de cette manière, par les archives orales qu’est préservée en partie la mémoire d’un groupe, d’une communauté, d’une nation, d’un individu ou d’une classe sociale.

La question des archives orales est tout à fait décisive. Les historiens leur accordent de plus en plus d’importance parce qu’elles permettent de compléter, de contourner les silences des archives écrites ou visuelles. A travers l’enregistrement de la parole, s’ouvre la possibilité de rentrer dans les interstices de l’histoire, d'essayer de fouiller, de scruter, de voir les silences de l’histoire en faisant parler ces acteurs. Pour l’histoire de l’immigration et, l’histoire coloniale qui m’intéresse encore davantage, les entretiens, les conversations, les enregistrements de parole sont tout à fait décisifs. Dans cette histoire qu’est l’histoire coloniale en particulier, de nombreux acteurs qui y ont été mêlés sont issus de classes sociales non urbaines, non instruites. Ce sont des paysans, des gens qui n’ont pas pu avoir accès à la trace écrite, à l’écriture, ni avoir les codes urbains permettant d’appréhender, de comprendre les situations ou les univers différents.

Mais il existe aussi un autre aspect dans les archives orales: le fait que dans les conversations, les échanges privés ou publics s’exerce la possibilité de contourner les histoires « officielles », étatiques. La déconstruction des récits d’histoire traditionnels est possible, à partir de l’oralité, du vécu, des trajectoires personnelles ou individuelles. Ce que j’énonce est classique, ce sont des découvertes récentes exploitées par les historiens, par ceux qui travaillent autour d’eux. Mais tout ce travail sur les archives orales, les préservations de mémoire, sur le fait d’enregistrer les traces pour qu’elles ne disparaissent pas – on pourrait contourner les histoires, les récits officiels, toute cette profusion de travaux et d’analyses autour de la mémoire et de l’histoire – a pris aujourd’hui un autre sens. Il existe maintenant un envahissement de la mémoire, de l’entretien comme une source quasiment devenue "reine" par rapport aux autres sources qualifiées de sources suspectes, puisque venant d'en haut de l'Etat.

On a, par conséquent, un autre sens à donner aux archives orales, à la mémoire et aux rapports entre la mémoire et l’histoire. C'est le fait que les dimensions mémorielles de parole, de mémoire préservées sont des instruments, des moyens de construction identitaire de groupes. La question de la mémoire est devenue plus un outil de formation d’un groupe sur le plan politique, social plutôt qu’un simple objet de transmission. Elle est un enjeu. Mais comment y sommes-nous parvenus ? Que ce soit dans le premier cas, la mémoire qui a littéralement envahi l’ensemble du champ culturel ou dans le second cas, la mémoire comme fabrication de groupes constitués politiquement, que s’est-il joué dans la société ?

Plusieurs interprétations sont possibles et je prendrai comme exemple mes propres travaux de recherche autour de la mémoire de la guerre d’Algérie dans la société française. Comment avons-nous eu cette sorte d’invasion mémorielle à travers l’exemple particulier qu’est l’objet historique guerre d’Algérie dans la société française ? Comment s’est-elle posée, construite ?

Il faut d’abord énoncer le fait que s’il y a ce besoin, cette explosion mémorielle d’individus ou de groupes c'est dû à un retard de récits historiques. Le récit d’histoire construit par l'Etat, l’Education nationale, les partis politiques, les syndicats, forme le lien social et national. Le retard pris dans l’élaboration d’un récit d’histoire admis par tous, provoque le besoin de l’expression mémorielle personnelle sous le biais familial, communautaire. Dans l’inexistence d’un récit suffisamment fort qui organise, ordonne politiquement arrivent des récits des transmissions personnelles, familiales. Ces récits là se présentent presque comme des contre histoires, inversées par rapport à une histoire « officielle », qui n’existe pas. Le besoin mémoriel très fort se déploie dans la situation où l'on a besoin d’avoir un outil de référence.

Un retard a été pris de manière flagrante sur l’enseignement de l’histoire coloniale, et particulièrement de la guerre d’Algérie. Le retard commence au début des années 1980 avec les marches pour la citoyenneté – qu'on a appelé "La marche de beurs" –, contre le racisme, pour l’égalité. Il fallait être aveugle pour ne pas voir qu’à travers l’ensemble de ces revendications, émergeaient des besoins, des recherches d’approfondissement sur la situation présente, vécue au quotidien. Des recherches de généalogie, de filiation, des remontées aux origines. Pourquoi la ségrégation vécue au quotidien dans le travail, le logement, l’emploi, ou l’entrée dans les boîtes de nuit ? C'était déjà en 1981, avec les « rodéos » des Minguettes, dans la région lyonnaise. Il fallait être aveugle pour ne pas voir que se forgeait un lien entre l’histoire coloniale française et la situation vécue au quotidien. Ce lien gisait, il suffisait, par conséquent, de le sortir, de le mettre en pleine lumière et donc de l’enseigner. C'était il y a un quart de siècle. On le fait maintenant. Mais depuis vingt-cinq ans, trou d’histoire, une sorte de béance dans la non-existence du récit historique entre question coloniale et celle de l’immigration s’est creusée. Progressivement, le récit familial est venu combler ce vide.  Cette volonté d’exister par soi-même, indépendamment d’un récit politique et historique construit, se développe dans l’espace politique public. Ce retard est en train d’être rattrapée aujourd’hui. Mais il faut bien parler de la béance dans les manuels scolaires depuis 1982-1985, jusqu’au début des années 2000.

Il faut revenir sur un autre aspect.  Lorsque les revendications mémorielles ont commencé à apparaître à la fin des années 1980, on a vu se structurer de manière embryonnaire un certain nombre de groupes en référence avec l’histoire coloniale. Ces groupes ont commencé à revendiquer par rapport à leur propre statut social dans la société. Rappelons quelques-uns de ces groupes : les enfants de l’immigration algérienne en France, Les enfants de harkis. Je ne vais pas m'attarder sur chacun de ces groupes, leur « territoire » sociale ou géographique. On a assisté aussi à la consolidation d’un groupe que sont les pieds noirs, les Européens d’Algérie qui ont une mémoire particulière liée à l’histoire coloniale. Et progressivement de manière consolidée, celle des soldats français qui ont combattu en Algérie entre 1 et 1,5 millions de soldats entre 1955 et 1962.

Ces quatre groupes dominants ont commencé à fonctionner à l’intérieur de la société française. A cette époque environ trois ou quatre millions de personnes à peu près dans la société française sont directement concernées par la guerre d’Algérie. Mais quand j’ai écrit La gangrène et l’oubli, publié en 1991, ces quatre groupes principaux n’étaient pas encore, comme aujourd’hui, cloisonnés. Quand j’ai travaillé pour écrire cet ouvrage, des passerelles existaient entre eux. Une circulation mémorielle pouvait s’effectuer dans une sorte de recherche des origines d’un paradis perdu, d’un vivre ensemble, une sorte de nostalgie commune du Sud. Il n’y avait de clarification historique des enjeux de l’époque coloniale.

Il n’y avait pas cette structuration très dure, de cloisonnements, d’affrontements pouvant exister entre ces différents groupes aujourd’hui, Au contraire, on pouvait peut-être espérer – c'était mon cas à l'époque – une sorte de compréhension de l’histoire de l’autre, entrer dans sa souffrance de l’autre pour essayer de construire, bâtir une histoire commune.
Le problème est que dans les quinze dernières années on a assisté au contraire, à mes yeux – c'est une hypothèse que je formule, que je mets en débats – à une sorte de reconstruction de ce qui se passait dans un univers disparu. Je ne dis pas que la colonisation est revenue en France – là n'est pas la question –, mais les références historiques de cette période sont revenues. La référence historique à un monde indigène séparé, opposé à un monde européen est revenue. Le « monde indigène » c'était celui des sans-droits, des Algériens musulmans, des immigrés d’aujourd’hui et des harkis. Le « monde européen » c'était les Européens et, les soldats français qui sont allés combattre en Algérie.

On a vu apparaître brusquement cette césure entre ces deux mondes. Les références en termes de vocabulaire, d’attitudes, de comportements, y compris en terme électoral, sont apparues. C'est une observation personnelle que je livre à votre réflexion. Cette division n’existait pas il y a quinze ans. Or aujourd’hui des mouvements radicaux s’expriment au nom de ces catégories et de ces références. Ces mouvements sont radicaux, le fait qu’ils existent en 2007 alors qu’ils n’existaient pas dans les années 1980 est symptomatique. Des mouvements de jeunesse radicaux "identitaires" revendiquent l’appartenance à tels groupes de manière fermée, exclusive, dans la recherche d’une identité qui n’est plus métissée mais exclusive. Les revendications mémorielles se sont détachées des origines sociales ou économiques.  Elles sont devenues de manière exclusive des revendications identitaires à l’intérieur de la société, d’où l’importance du thème de la mémoire qui vient en résonance renforcer la revendication identitaire qui n’a plus d’écho social. Ce fait complique le travail associatif, considérablement. Il oscille entre satisfaire la demande de revendication identitaire, ou revenir à la question sociale et politique. La demande de revendication identitaire et mémorielle qui, si elle n’est pas rattachée à l’économique et au social risque de s’enfermer de manière exclusive, donc ghettoïsée. C'est un vrai problème.

Chacun de ces groupes s’est cristallisé sur plusieurs éléments parce qu’ils n’existent que s’ils sont dans des stratégies, des perspectives politiques et sociales. Ils ne peuvent pas exister simplement sous l’angle identitaire mémoriel. Mais ils se structurent sur des angles qui sont des revendications politiques et mémorielles. Une revendication a surgi progressivement, qui s’est installée dans le paysage mémoriel de ces groupes, ce sont les dates de commémoration. On a par exemple pour ce qui concerne l’immigration algérienne en France fixer la date du 17 octobre 1961, moment du massacre d’Algériens à Paris. Il y a la date du 19 mars 1962 celle des Accords d’Evian, la revendication des anciens d’Algérie, des soldats portés par une grande association qui s’appelle la FNACA, qui a toujours combattu, mais avec encore plus de vigueur aujourd’hui, pour que cette date reconnue comme officielle de la fin de la guerre d’Algérie. Une date est en train de monter en puissance, portée par la communauté pieds noirs, celle du 5 juillet, mise en compétition avec la date de la fête nationale en Algérie du 5 juillet 1962. Une mise en concurrence d’une autre date, celle du 5 juillet 1962 à Oran, celle de l’enlèvement de plusieurs centaines d’Européens à Oran. Des batailles mémorielles sont menées par les mouvements associatifs qui essaient de faire prévaloir leur point de vue dans la commémoration sur chacune de ces dates, d’imposer dans l’espace politique cette date à l’exclusion des autres. Il n’y a pas d’échange, de passerelle entre chacune des dates, mais une compétition.
Un autre aspect consolide les groupes, ce sont les revendications sociales. Ces groupes ont pu exister progressivement et s’enraciner, se cristalliser parce qu’ils avaient aussi des revendications sociales. Le groupe le plus important sur la guerre d’Algérie qui avait des revendications sociales puissantes est celui des anciens soldats d’Algérie. Ces soldats au nombre d’un million et demi ont demandé  à être reconnus comme anciens combattants pour avoir une pension supplémentaire, la carte d’anciens combattants leur permettant d’arriver à la retraite pour toucher une pension. Leur bataille a débouché sur le fait que l’Assemblée Nationale française a voté en 1999 une loi reconnaissant la guerre d’Algérie…

Cette reconnaissance de la guerre d’Algérie n’est donc pas une « victoire des historiens » ! Il s’agit également d’une revendication sociale émise par les groupes d’anciens combattants, très nombreux à l’Assemblée Nationale, représentés par leurs députés qui approchaient des soixante-cinq ans, aujourd'hui à la retraite. Le retour de mémoire dans la société peut aussi se lire comme une revendication sociale.
Mais il y a aussi les autres groupes. Celui des enfants de harkis ou des harkis s’est consolidé, cristallisé sur le problème de la réparation, de la souffrance, de l’abandon qu’a représenté le passage à l’indépendance algérienne de 1962 ; mais  aussi sur des revendications sociales, c'est-à-dire la sortie des camps de transit, des camps de regroupement dans le Midi de la France. On commence à connaître cette histoire des années 1960-70 qui était terrible. Toute une série de revendications sociales, adossées à la demande de reconnaissance de dignité, a consolidé ce groupe. Le mouvement des pieds noirs, de son côté, s’est consolidée tout au long des années 1970/80 sur une revendication : l’indemnisation des rapatriés. Cette demande de réparation a formé une « communauté » sur une base sociale.

Le catalogue des revendications sociales émises par les grands groupes – il y a des « sous-groupes » dans la guerre d’Algérie comme les « porteurs de valises », les Berbères, les messalistes opposés au FLN, etc – posent le problème du rapport, de l’adéquation entre la satisfaction de revendications sociales portées par ces groupes puissants et le durcissement mémoriel.
Le détachement de l’origine sociale n’a pas entraîné la fin du problème de mémoire, il l’a aggravé. Cette crispation identitaire détachée d’origines sociales est-elle partagée par la totalité du groupe, ou par des fractions de groupes qui se radicalisent ? Est-ce une avant-garde qui se crispe, se sépare de l’origine sociale et politique et veut poursuivre son action en dehors de l’origine sociale et politique, en situation d’affrontement identitaire ? Les années à venir le diront.

Le fait est que la crispation de chacun de ces groupes n’a pas provoqué la mise en œuvre de la construction de passerelles politiques, culturelles mais une guerre des mémoires, un affrontement mémoriel, une compétition victimaire de chacun de ces groupes très puissants dans la société française, concernant des millions de personnes. Le groupe principal dont on ne parle pas, ce sont les trente-deux millions d’Algériens qui sont de l’autre côté de la Méditerranée. Ils forment  le groupe le plus nombreux, il ne faut jamais l’oublier. En France, on oublie très souvent que la guerre d’Algérie concerne trente-deux millions d’Algériens, il y a eu cinq cent mille morts en Algérie. Et les Algériens aujourd’hui sont confrontés à ces histoires traumatiques.

Le durcissement mémoriel se traduit par des revendications de dates de commémoration, mais aussi par des revendications d’espaces séparés de commémoration où chacun veut sa commémoration, ses martyrs, ces héros, etc. Vous connaissez les derniers avatars de ce type de revendication d’espaces mémoriels de Perpignan à Menton – nous sommes ici à Marseille – je ne m’attarderai pas sur ces groupes qui revendiquent ce type de commémorations. Certains, par exemple, entendent rendre hommage, de manière exclusive, aux Européens disparus. Elle est véhiculée par d’anciens partisans de l’Algérie française.

Nous avons par conséquent une bataille mémorielle très difficile, complexe parce qu’elle met en jeu la question du récit historique commun.  Comment en effet fabriquer une histoire commune et dans la fabrication du récit historique accepté par tous, le problème de la vérité historique qui passerait par la justice. Et là, la France ne peut s’abstraire de cette question dans un débat mondialisé sur le rapport au passé. Quand les pays de l’Est sortent du communisme et disent qu’ils veulent la vérité, peut-on le faire sans la justice et sans juger ? Quand les Argentins sortent d’une dictature, faut-il passer l’éponge, ne juger personne ? Quand les Marocains sortent des années de plomb et mettent en place l’Instance Equité, Réconciliation, disent ils aussi ce rapport entre justice et vérité ?. L’Afrique du Sud se trouve également confrontée à la sortie du système d’apartheid, il y a vingt ans. En Espagne, avec l’examen du le franquisme, un débat commence sur le problème de vérité réconciliation… Pourquoi la France échapperait à ce débat à propos du passé colonial ?

En France, le discours de l’anti- repentance permet, pour l’instant, d’esquiver ce problème du passé. Or la France ne peut pas s'abstraire d'un débat qui est mené aujourd’hui dans de très nombreux pays. Je suis invité en décembre à un colloque à Tokyo sur les rapports entre le Japon et la Chine sur la question coloniale, le Japon a colonisé la Chine, avec des massacres comme celui de Nankin, en 1937 commis par les Japonais. Les Chinois demandent toujours des excuses aux Japonais disent qu’ils vont réfléchir, voir, et pendant ce temps, les Américains entrent sur le marché chinois… L'état japonais va donc traiter de cette question, par la mise en place d’une commission mixte d’historiens sino-japonais.

Inutile de vous dire qu'en France, sur la question coloniale et particulièrement sur la question algérienne, nous sommes très loin de cela. On invente des objets imaginaires de type repentance, alors que personne ne la demande. La question décisive pour les historiens est tout simplement d'établir la vérité historique, Donc, la mise en place de commissions mixtes d'historiens français et algériens qui disent ensemble : que peut-on dire, écrire, et que peut-on ne pas dire ? Il ne s'agit pas d'un débat franco-français. Les gens qui s'imaginent que ce sont des débats circoncis au sud de la France se trompent. Ce sont des débats qui agitent aujourd'hui l'échelle internationale. Est-ce qu'un pays, une nation peut construire un récit historique accepté par tous, avec une réconciliation nationale, en évacuant, toutes les exactions qui ont pu être commises. Ce problème de la thématique de la réconciliation et de la justice est une thématique internationale.

J’ai centré mon propos exclusivement sur la question des rapports franco-algériens parce que chacun sait que la question coloniale a été la plus dure dans cet espace géographique et historique. Mais il y a quand même – et je terminerai sous un angle plus positif – des précédents en France qui sont des points d’appui pour avancer. Je parlerai en particulier de la question de l’esclavage qui a été une grave et, grande question, totalement méconnue, occultée, rejetée, non traitée dans la société française, et qui a fait l’objet, sous l’impulsion du mouvement associatif, de reconnaissance par l'Etat (journées de commémoration, le 10 mai, le premier film TV à la télévision, etc.), ce qui crée un précédent très important, un point d’appui sur lequel il faut réfléchir.
Ce point est assez intéressant parce qu’un des premiers actes politiques – à ma connaissance – de Nicolas Sarkozy a été d’aller le 10 mai à la journée de commémoration de l’esclavage alors qu’il avait basé toute sa campagne électorale sur l’anti-repentance. C'est bien, il faut en prendre acte, avancer. La question coloniale est donc un chantier qui s’ouvre devant nous, pour les années à venir. Je ne pense pas que nous puissions le traiter exclusivement sous un angle identitaire, personnel. Ce seront des décisions à caractère politique et étatique sur la question de la colonisation qui permettront de faire avancer les choses et pas simplement – uniquement – la question de la mémoire.

Madame

Dans la communauté des historiens, tout le monde n’est pas d’accord avec Monsieur Stora et on a pu entendre des historiens éminents dire des choses différentes sur le côté universel de la France et ne pas comprendre la diversité, ne pas l’accepter, quand on est extérieur, comme nous pouvons l’être, ne pas comprendre, ne pas admettre ce que vous dites. Quelle est votre position par rapport à vos collègues ?
Dans notre situation actuelle, d’autre part, en quoi fabriquer une histoire commune pourrait améliorer notre situation, en particulier vis-à-vis de ce racisme latent qui existe dans notre société française entre autres.

Madame Guylaine Renaud


Aux historiens en général, quels sont les apports des artistes, des travailleurs sociaux, des chercheurs que nous sommes bien que nous soyons des artistes et c'est ainsi que je me positionne ? Quels sont également les rapports possibles entre les scientifiques et les artistes pour avancer dans ces récits ?

Monsieur STORA

Je partirai de cette dernière question, le rapport entre les historiens et les artistes créateurs. Il faut inverser les termes du rapport, ce ne sont pas les créateurs qui doivent aller chercher les historiens, ce sont les historiens qui ont tout à faire avec les créateurs. Les cinéastes ont fait progresser par exemple l’histoire sur Vichy, ce ne sont pas forcément les historiens. Quand il y a eu "Lacombe Lucien", "Portier de Nuit", quantité de films dans les années 70, nous avons pu mesurer à quel point le travail de création artistique, d’élaboration de la fiction pouvait précéder le travail historique. La fiction annonçait des chantiers d’histoire. Des films de fiction sur cette histoire précèdent le documentaire dont un extrait a été diffusé ici en début d'après-midi et qui est beaucoup plus proche du travail historique parce qu’il a pour ambition de restituer la réalité. Les historiens qui font des documentaires adoptent une démarche classique, même s’il ne faut pas se faire des illusions sur le fait de pouvoir écrire l’histoire par les images. Il y a une proximité entre le travail historien et le documentaire mais la proximité, la difficulté à établir le lien est beaucoup plus difficile entre le travail historique et celui de la création. C'est beaucoup plus problématique. Or, le travail de création précède, les créateurs sont souvent ceux qui anticipent, « voient » la société, perçoivent les chantiers à venir.

Je prendrais un exemple sur la question qui m’intéresse directement, c'est-à-dire la guerre d’Algérie. De grands écrivains algériens – comme Kateb Yacine et plus récemment Rachid Mimouni, tous les deux sont décédés et appartiennent à des générations différentes – ont formidablement mieux raconté la guerre d’Algérie du côté algérien que les historiens. Si vous lisez Rachid Mimouni dans un livre qui s’appelle "L’honneur de la tribu", il fait une peinture d’une société bouleversée, infiniment plus "proche" de la réalité que n’aurait pu le faire un historien. Je parle de grands artistes, de gens particulièrement inspirés qui parviennent à créer des univers. Des créations d’univers par de grands cinéastes en disent mille fois plus que le fait de s’immerger des années dans des dizaines de cartons d’archives.  Des travaux cinématographiques avec des recréations d’images par de grands créateurs de cinéma vous diront, cinquante ans plus tard, comment a été l’Italie, Fellini bien sûr dans les années cinquante ou soixante. Avait-il pour ambition de raconter exactement ce qu’il se passait dans sa société ? Certainement pas, mais il nous disait : "Voilà mon univers" et aujourd’hui si nous voulons savoir ce qu’était l’Italie des années 60, nous regardons Fellini.  Nous savons que les passions, les sentiments, les rapports hommes/femmes, les rapports sociaux se jouaient dans l’univers du cinéma.

J’ai parlé de la littérature, du cinéma, mais nous pouvons dire la même chose du théâtre, de la peinture. Très souvent des œuvres magistrales dans le monde de la création annoncent des bouleversements et à partir de là, très souvent, les historiens vont puiser dans ces documents. J’ai eu l’ambition de faire un film sur l’histoire de la guerre d’Algérie, uniquement par des extraits de films de fiction c'est-à-dire de novembre 1954 jusqu’à l’indépendance de l'Algérie. J’avais reconstitué un scénario uniquement à partir d'extraits de films de fiction. Cela partait de Lakdhar Amina jusqu'à l'indépendance de 1962, Jean-Luc Godard, "L'honneur du capitaine", de nombreux films. Et je disais : "Voilà, c'est cela, la guerre d'Algérie, en prenant 25 films, j'y suis". Les soldats, les Pieds Noirs, "Le coup de siroco", le départ, les Algériens, "Le vent des Aurès", "Chronique des années de braise"…..  nous avions toute l’histoire de la guerre d’Algérie avec l'atmosphère, des restitutions d’ambiance, des climats tout à fait extraordinaires.
Bien sûr, les créateurs ont besoin des travaux, de la précision de l’historien sur les situations, les dates, l’exactitude, les personnages, les lieux. Mais il faut parfois inverser les termes de la problématique.

Madame Guylaine Renaud


Est-ce à dire qu’on peut parler de l’histoire uniquement par le filtre de la sensibilité, de l’interprétation qui peut en être donnée en tant que créateurs, mais aussi par le biais que l’on appartient soi-même, à cette tranche de l’histoire, à ce morceau de territoire ?

Monsieur STORA

Nous sommes loin du débat prévu initialement, vous me parlez du rapport fiction/histoire, nous sommes invités sur mémoire et identité. C'est un autre débat. Fiction et histoire est un immense débat. L’appartenance à un groupe, à une réunion, à une famille, à un lieu peut être dommageable parce qu’elle fait qu’on est prisonnier de ses préjugés familiaux, personnels. Mais les grands romanciers à l’échelle universelle sont très attachés à leur propre histoire personnelle et familiale, De Yachar Kemal à Albert Cohen, ils se racontent, ils racontent leurs familles et cela parle au monde entier. Le problème du détachement et de la séparation est très compliqué. Quand vous regardez les grands romanciers, Mouloud Mameri raconte son histoire, Yachar Kemal, un grand auteur turc ou Naguib Mafouz qui raconte l'histoire de son quartier. Et tout le monde s'y retrouve. Dire qu’il faut se séparer, se détacher pour avoir une vision large, objective, universelle je n’y crois pas. Des gens sont capables de nous faire pleurer à partir de leur histoire, d’autres qui ne nous touchent pas et c'est le problème du talent d’écriture, de la parole, de l’interprétation, de la représentation, ce n’est pas la thématique. D’excellents créateurs connaissent toute l’histoire, ils font des films inintéressants mais des gens qui n’ont pas lu beaucoup de livres d’histoire, qui racontent leur vie, font pleurer les salles du monde entier… Et sur l’immigration, par exemple,on n’a rien fait de mieux que Charlot !

Madame

Je n’attendais pas cette réponse. Pour traiter d’un sujet historique au travers d’un filtre sensible et personnel, il faut aussi connaître une partie de l’histoire, de sa propre histoire.

Monsieur STORA


Tout le monde sait qu’on ne va pas s’engager dans l’écriture d’une histoire sans rien connaître à cette histoire, il faut au moins connaître sa propre histoire, son propre vécu. Le point de départ du créateur c'est partir de lui-même, de sa propre histoire….. Si un créateur doit faire un doctorat d’histoire pour faire un film d’histoire : non. S’il faut appartenir à la corporation des historiens, aller sur des archives, faire des livres d’histoire pour faire du travail de création ma réponse est : non.  D’autres historiens peuvent ne pas être d’accord avec moi…. Pour répondre à la question précédente : la catégorie d’une corporation unanime donne le risque de l’histoire étatique officielle. Si des historiens sont tous d’accord sur l’interprétation d’un fait historique et fonctionnent à l’identique, c'est un pays totalitaire. On a une histoire officielle, des vérités établies et l’application de ces vérités décidée par en haut, la mise en œuvre d’un scenario déjà existant, c'est ce qu’on appelle l’histoire officielle. Il y a aussi des mythologies nationales officielles, des "croyances" officielles sur lesquelles sont bâties de manière presque nécessaire des nations. Certaines nations ont besoin d’avoir des liens nationaux, des croyances mythologiques. Le travail des historiens est de les déconstruire, de les critiquer, de prendre de la distance, d’être à la marge. Mon premier travail concernait un homme Messali Hadj qui avait été écarté par le FLN pendant la guerre d’indépendance algérienne. J’avais vingt-six ans, et je ne m'en rendais pas compte. Il avait été mis au secret d’une histoire officielle algérienne, elle-même mise au secret par l’histoire française – c'était doublement un secret – ce fut mon premier travail.. J’aurais pu faire l’histoire du FLN, de la France, de l’OAS, j’ai fait l’histoire de celui qui était mis au secret des deux côtés….

Madame Guylaine RENAUD

Quand je pose la question des historiens, c'est important pour notre pays, certains nous disent que c'est l’histoire de la repentance, de l’universalité de notre pays, de la république, puis nous avons une diversité qu’il faut prendre en compte.

Monsieur STORA

Je comprends. Il ne faut pas faire confiance totalement aux historiens…  quel est  donc ce privilège qu’on accorde aujourd’hui dans la société à la parole de l’historien ? Auparavant, la mode était aux sociologues dans les années 70. Le sociologue était à la mode, invité de partout, avec la parole de l’expert, etc. Aujourd’hui, la parole de l’expert est celle de l’historien, comme s’il avait toutes les vertus de l’authenticité, de la vérité, de la compétence, y compris devant les tribunaux de l’histoire. C'est pourquoi il est convoqué dans les prétoires… Si nous continuons, ils vont délivrer les sentences de justice…

Ce n'est pas cela le métier d'historien. Je vous le dis pour déconstruire le récit du sens commun sur le statut de l’historien dans la société qui, malheureusement, a pris trop d’importance au regard d’une crise des idéologies collectives et du politique. Et c'est la crise du politique qui fait que nous allons nous réfugier dans le passé et exhumer les historiens pour leur demander de tout nous expliquer. Il y a une panne du futur, nous allons donc dans le passé et qui travaille sur celui-ci ? Le statut de l’historien aujourd’hui est de nous dire le projet politique de la société, il va nous donner le projet du futur. Comme il y a une crise du politique, du programme, des idéologies, des démarches programmatiques, alors le statut de l’historien est celui d’expert tous azimuts. Il va nous dire tout ce qu’il faut faire, s’il faut faire une repentance ou pas, etc. Méfiez-vous du rôle de l’historien dans la cité, il est un citoyen, un "érudit", un savant comme les autres qui essaie de faire le plus honnêtement du monde son métier et c'est tout. Il essaie d’établir des vérités, de s’en approcher, mais il ne peut pas faire plus.

Des historiens font leur métier dans un sens, d’autres dans un autre sens, ils se confrontent avec des mécanismes de régulation de l’institution universitaire, avec les jurys de thèse, ou l’agrégation qui font qu’on essaie de réguler par toute une série d’instances la « corporation historienne ». Mais quand vous êtes passé par toutes ces instances de régulation, (c'est comme l’histoire du créateur, il y a le problème du talent), ceux qui brisent les tabous avancent… Des gens déconstruisent, s’attaquent, brisent des tabous, cassent des mythologies et au contraire d’autres font carrière, sont conformistes… Mais c'est la vie de chacun, c'est de la responsabilité de chacun, il n’y a pas de lieu de régulation d’une instance de corporation historienne qui permettrait de dire quelle est la vérité, comment se mettre d’accord les uns avec les autres. Il y a des sensibilités, des accords, des complicités qui se nouent à des moments déterminés, y compris à travers les générations. Emile Temime est ici, j’ai fait un livre avec lui, nous ne sommes pas du tout de la même génération, mais il y a des rigueurs, des complicités qui se nouent sur la base d’expériences, de sensibilités communes.
Le fait d’accorder dans l’imaginaire d’aujourd’hui ce poids aux historiens comme une corporation homogène qui déciderait de la vie des institutions, de la société, je n’y suis pas favorable. Les historiens ne doivent pas nous dire ce qu’il faut faire du point de vue du mouvement associatif, des représentations, du cinéma, des musées, ce n’est pas à eux de le faire, de le diriger. Mais on peut être en désaccord avec moi….

Monsieur TEMIME

Nous ne sommes pas uniquement des historiens. Nous sommes des historiens et, en ce qui me concerne, nous avons des engagements militants. Et le gros problème est de faire un travail d’historien sans interférer, quand on a un engagement militant, on l’assume parce qu’on l’a choisi, ce n’est pas le métier d’historien. Ils se recoupent parfois parce qu’on choisit des travaux d’historien, on y est poussé parfois par son propre engagement, mais il faut faire la distinction. Et ce qui est le plus important pour un historien, c'est le partage entre les deux, être historien c'est un moment qu’on peut arrêter pour réagir en tant qu’individu, en tant que militant.

Monsieur STORA

Je suis tout à fait d’accord en ce sens, mais la question qui me préoccupe aujourd’hui concerne l’importance prise par le statut d’historien dans la chose politique publique. Mais, je suis d’accord sur le fait de partager la règle scientifique, la déontologie du métier d’historien c'est-à-dire confronter les sources, adopter une distance critique et l’engagement de la subjectivité et du militantisme. Mais le débat initié par la question n’est pas en ce sens, c'est l’importance grandissante du poids des historiens dans la vie de la cité, c'est-à-dire du point de vue politique et c'est nouveau, cela n’existait pas il y a vingt ans, époque à laquelle a parole historienne n’avait pas le poids qu’elle occupe aujourd’hui.

Monsieur CHABBI


Merci Benjamin Stora, ce fut un moment agréable et instructif. Nous espérons vous revoir avec Monsieur Temime.

Monsieur STORA

Je voudrais dire quelques mots sur Pierre Douzu qui est un grand historien de la colonisation, décédé il y a un mois – son travail, sa mémoire a été évoqué ici par une de ses étudiantes. Il a été l’un des pionniers de l’histoire de la colonisation dans les années 70, en particulier au moment où peu d’historiens travaillaient cette question. Il a construit ce chaînon manquant avec d’autres comme René Gallicio qui appartient à la même génération, et il est très important de saluer sa mémoire, il est d’ailleurs venu à Marseille il y a peu de temps lors de sa dernière apparition publique.

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Hommage à Benjamin Stora, Mucem, Marseille, 31 mai 2018

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