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19452007A peine a-t-il été montré à quelques personnes, dans le cadre du festival de Cannes, que Hors-la-loi a suscité une première polémique très idéologique. Depuis, les choses se sont décantées : des historiens ont pu visionner le film de Bouchareb.

 

 

Ils ont constaté à quel point cette oeuvre remet en pleine lumière certaines zones d’ombre de notre passé et, au travers de l’évocation des massacres de Sétif, apporte un correctif à l’une des principaux domaines d’exercice de l’amnésie. Une amnésie qui s’explique, en partie, par le fait que la plupart des fictions françaises traitant de la guerre d’Algérie se concentrent sur la séquence 1954-1962, mais délaissent les premiers événements et massacres, antérieurs à cette séquence.  L’autre trou de mémoire que comble Hors-la-loi concerne la présence de l’immigration algérienne en France. Jusqu’ici, seuls trois films de fiction l’ont évoquée : Elise ou la vraie vie, le beau film de Michel Drach (1969), sur un scénario de Claude Lanzmann ; Vivre au paradis, un film de Boualem Guerdjou (1997), avec, notamment, Roschdy Zem ; et, enfin, Nuit noire, d’Alain Tasma, en 2004, consacré à la nuit du 17 octobre 1961 et à sa répression sanglante. Trois films d’une grande qualité, mais qui faisaient néanmoins l’impasse sur l’ancienneté de la présence algérienne en France.

En dépit des clarifications auxquelles il procède, le film de Bouchareb relègue dans l’ombre une quantité impressionnante de faits, et brouille même parfois la frontière de la réalité et de la fiction.

Sur cet enjeu éternel du rapport de l’histoire et de la fiction, rappelons que de nombreux films de guerre fonctionnent sur le mode de l’ellipse, de Voyage au bout de l’enfer à Platoon et à Apocalypse now. Ces ellisions du réel n’ont pas forcément de caractère problématique, car ces œuvres culminent dans une métaphysique de la guerre. Se voulant surtout comme un film d’action, Hors-la-loi n’est pas porté par une telle métaphysique : il s’enracine explicitement dans une chronologie historique précise, avant et pendant la guerre d’Algérie. Quand il évoque les massacres de Sétif, en 1945, on aurait pu s’attendre à ce que la vraie durée des massacres (plusieurs semaines) nous soit restituée, avec leur localisation véritable (Guelma, Kherrata et non pas seulement Sétif). Le choix de la contraction mythologique dans une unité de temps de vingt quatre heures est parfaitement adapté aux exigences du cinéma, mais il sert aussi l’impératif de sensationnalisme. Il a, cela dit, aussi pour inconvénient de tirer le film du côté de la mythologie.

Même remarque concernant l’évocation de la trajectoire des « porteurs de valise », les militants de la gauche française qui ont aidé le FLN : pour l’un (ou, comme dans le film, l’une) d’entre eux qu’animaient des sentiments amoureux, l’immense majorité de ces porteurs de valise avaient un agenda essentiellement idéologique, et ils ont fait sévèrement abstraction d’eux-mêmes. Jean-Luc Godard l’a montré dans Le petit soldat,( mais cette fois dans l’engagement en faveur de l’OAS).

Autre scène, autre concession à la part mythologique de la réalité : lorsque Bouchareb montre Sami Bouadjila dans l’usine, il imagine, en une scène improbable pour une situation d’hostilité, que celui-ci bat publiquement le rappel pour le FLN ! Cette organisation agissait dans un cadre strictement clandestin, et on imagine très mal une telle séquence…

L’évocation de la guerre ouverte entre le FLN et le mouvement indépendantiste rival, le MNA de Messali Hadj, n’est, quant à elle, guère plus convaincante : si on tuait un militant, ce n’était de toutes façons pas pour lui voler son frigidaire ! La distorsion discrète de la vérité historique a beau répondre à un impératif spectaculaire, elle noie la complexité des situations politiques dans la contemplation sidérée d’une violence pure. Le paroxysme est atteint avec deux attaques à main armée, qui raviront les amateurs de fusillades « asiatiques » à la John Woo : celle que Bouchareb imagine, dans une forêt francilienne, contre une fourgonnette de harkis ; l’autre, à l’encontre d’un commissariat de police, dans le but de se venger d’un gradé de la police responsable d’actes de torture, et au cours de laquelle l’un des acteurs, Rochdy Zem interprétant un militant du FLN, vide son chargeur de revolver, tenu à deux mains, sur les policiers. Cette héroïsation du FLN est comparé subliminalement à la Résistance française des années 1940. Elle n’en demeure pas moins historiquement tout à fait problématique, car le FLN n’a porté la guerre officiellement qu’une seule fois sur le territoire français, en août 1958, avant de se raviser, en songeant à l’effet d’engrenage dramatique d’une telle stratégie.

Cette héroïsation a comme autre inconvénient de plonger dans l’invisibilité de cette autre France, habitée d’anticolonialistes, auxquels les nationalistes algériens de l’époque vouaient une gratitude lucide. Hors-la-loi suggère un peu trop aisément que la France de cette époque était pareille à un bloc, retranché derrière sa bonne conscience postvichyste. Les militants algériens, toutes tendances confondues, n’ont jamais vu les choses ainsi.

Benjamin Stora, auteur de Les immigrés algériens en France, une histoire politique (1912-1962), Ed Hachette, coll Pluriels, 2009.

 

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Hommage à Benjamin Stora, Mucem, Marseille, 31 mai 2018

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