Le festival de Pessac souligne un paradoxe : moins nombreux que ceux sur l'Algérie, les films sur la guerre d'Indochine sont plus renommés. Décryptage.
« Indochine », de Régis Wargnier, Oscar du meilleur film étranger en 1993.
«La fin des colonies », c'est le thème du 21e festival du film d'histoire de Pessac, qui se poursuit jusqu'au 22 novembre. En toute logique il accorde une grande place aux deux guerres de décolonisation qu'a connues la France entre 1946 et 1962. L'occasion de constater que, au cinéma comme ailleurs, les guerres d'Indochine et d'Algérie ne laissent pas les mêmes traces. Explications avec Benjamin Stora, historien, spécialiste des relations franco-algériennes, auteur de plusieurs documentaires et conseiller historique du film « Indochine ».
« Sud Ouest » : Le festival de Pessac programme 11 films sur la guerre d'Indochine contre 38 sur celle d'Algérie. Ce déséquilibre est-il révélateur ?
Benjamin Stora : Oui. Dans les fictions comme dans les documentaires, la guerre d'Indochine apparaît comme un conflit longtemps oublié. Il est coincé entre deux séquences importantes : l'Algérie et surtout le Vietnam, où la guerre américaine, plus récente et ayant suscité une mobilisation internationale, a en quelque sorte recouvert la guerre française.
A contrario, le fait que les deux conflits aient eu lieu sur le même territoire a servi les films sur la guerre d'Indochine. Aux États-Unis notamment beaucoup de gens ont souhaité qu'on leur montre ce qui s'était passé avant que n'éclate la guerre du Vietnam. Les films sur l'Indochine sont moins nombreux mais plus présents dans les esprits. « Indochine », de Régis Wargnier, a reçu l'oscar du meilleur film étranger en 1993. Auparavant « La 317e section », de Pierre Schoendoerffer, avait été primé à Cannes.
Aucun long-métrage sur la guerre d'Algérie n'a eu un tel retentissement international, si l'on excepte « La Bataille d'Alger », de Gillo Pontecorvo, lion d'or à Venise en 1966. On hésite à récompenser des films sur ce thème. Certains, comme « Avoir 20 ans dans les Aurès », « RAS » ou « Le Coup de sirocco », ont eu une belle renommée en France mais pas ailleurs.
Comment se fait-il que le cinéma français se soit plus intéressé à l'Algérie qu'à l'Indochine ?
Parce que l'Indochine était une terre lointaine alors que l'Algérie se trouvait de l'autre côté de la Méditerranée. Parce qu'il n'y avait que 50 000 habitants d'origine européenne contre un million en Algérie. Parce que l'Indochine était une colonie alors que l'Algérie était un territoire français, comprenant trois départements. La guerre d'Indochine a été une guerre coloniale classique, avec un corps expéditionnaire (dans lequel on trouvait d'ailleurs beaucoup de combattants marocains et algériens). Celle d'Algérie a été vécue comme une fracture nationale, impliquant les appelés du contingent et aboutissant à la fin d'une République.
Le seul film programmé à Pessac qui soit contemporain de la guerre d'Indochine est « Le Rendez-vous des quais », qui a été très vite interdit. A l'opposé, sur la guerre d'Algérie, on trouve quatre fictions tournées au moment des événements. La censure s'était-elle relachée ?
Ces films sur la guerre d'Algérie sont tardifs. Ils n'apparaissent qu'au début des années 60, alors que les négociations avec le FLN avaient commencé. Auparavant ce sujet était peu traité et la censure était forte. Mais peu après l'indépendance on voit apparaître ce que j'appelle des films « elliptiques » : On y parle de l'Algérie sans la montrer. Ce sont par exemple « Les Parapluies de Cherbourg » de Jacques Demy ou « La Belle vie » de Robert Enrico. Ils illustrent le traumatisme que le conflit a provoqué en France.
La filmographie de la guerre d'Algérie reflète en fait les changements de la société française. Dans les années 70 on est dans les soubresauts de Mai 68 et les films ont une nette orientation anticolonialiste : « RAS », « La Question »… Les années 80 opèrent, elles, un retour de balancier et cherchent plus à montrer les blessures intérieures avec « L'Honneur d'un capitaine » ou « Le Coup de sirocco ».
Depuis le milieu des années 90, enfin, on observe des tentatives de mélanger les mémoires, de faire un parallèle entre les déchirements d'un côté et de l'autre de la Méditerranée. Je pense par exemple à « Vivre au paradis », de Bourlem Guerdjou. Ce mouvement est favorisé par le fait qu'il est désormais possible de tourner en Algérie. Ça a été le cas pour « La Trahison » ou « Mon colonel », ainsi que pour « Le Premier homme », l'adaptation du roman de Camus qui sortira l'année prochaine.
Est-ce une différence importante avec les films sur l'Indochine ?
Oui. Entre les années 60 et les années 2000 les réticences des autorités, puis la guerre civile, empêchent les cinéastes français de tourner en Algérie. Ils ne peuvent pas en montrer les paysages. Ils sont dans l'impossibilité de tourner des road-movies comparables à ceux réalisés sur les guerres du Vietnam et de l'Indochine, où l'on sent l'importance de l'environnement naturel : la jungle, l'humidité… À l'inverse, dès le début des années 90 le Vietnam s'ouvre aux étrangers. « Dien Bien Phu » mais aussi « L'Amant » y sont tournés entre 1991 et 1992. C'est aussi l'une des raisons pour lesquelles les films sur l'Indochine ont eu plus de retentissement.
Les deux conflits ont-ils inspiré des films à l'étranger ?
Je ne peux pas répondre pour l'Indochine, mais sur la guerre d'Algérie, outre « La Bataille d'Alger », on peut citer « Les Centurions », film américain de Mark Robson, qui lui répond en 1966 en donnant le point de vue français. En Algérie beaucoup de films défendent des options nationalistes fortes mais on trouve de très belles œuvres comme « L'Opium et le bâton », d'Ahmed Rachedi, ou « Chronique des années de braise », de Mohammed Lakhdar-Hamina, palme d'or à Cannes en 1975. Mais ce sont des films que l'on a peu évoqué, ou vu, en France