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Guerre d’Algérie, la déchirure
de Gabriel Le Bomin et Benjamin Stora

La guerre d’Algérie a bien eu lieu. La preuve, l’Assemblée nationale française l’a reconnu officiellement en juin 1999… Plus de trente ans après la fin du conflit. Jusqu’alors, on continuait à parler, contre toute évidence, d’« opérations de maintien de l’ordre ». Lesquelles ont fait, au final, quelque 400 000 morts côté algérien et 30 000 rien que chez les appelés du contingent.

Cette hypocrisie, ce déni de la réalité sautent aux yeux dans le documentaire en deux volets signé par le réalisateur Gabriel Le Bomin et l’historien Benjamin Stora. Car son personnage principal, c’est bien l’armée française. L’armée et ses centaines de milliers d’appelés qui pour la plupart n’avaient jamais quitté leur famille avant d’embarquer pour la rive sud de la Méditerranée. L’armée et ses paras accueillis à leur arrivée à Alger comme des héros par la population européenne. L’armée et ses figures de proue qui, jusqu’à leur disparition, continueront de susciter la polémique : les généraux Salan, Massu et autre Bigeard.

img2Equilibré et tout en sobriété (malgré une colorisation discutable et une musique parfois envahissante), ce documentaire ne sacrifie pas aux sacro-saints entretiens avec les « acteurs de l’époque ». « Raconté » par l’acteur Kad Merad, il présente des images inédites, puisées dans les archives de l’armée française, mais aussi auprès de sources plus inattendues. Les auteurs ont ainsi utilisé des scènes tournées par la télévision est-allemande montrant des hommes traumatisés, victimes de tortures. Une façon d’illustrer ce qui demeure, en grande partie, un tabou dans la mémoire collective nationale. Pour montrer la guerre telle qu’elle fut, Le Bomin et Stora ont aussi inséré les images — difficiles — de suppliciés — les cadavres de jeunes soldats français égorgés par des fellaghas. Et celles d’exécutions sommaires de « suspects » du FLN. Il ne s’agit certes pas de renvoyer dos à dos les parties du conflit, mais de souligner la dynamique de ce conflit, sa dimension tragique.

Sans verser dans l’illusion rétrospective, on ne peut être que frappé par la débauche de moyens militaires mis en œuvre par la France pour conserver ce qu’elle considère alors comme un prolongement du territoire national. Cette fuite en avant, qui finit par se retourner contre le pouvoir politique, avec le putsch des généraux en 1961, vise aussi à panser les blessures d’une armée défaite en 1940, puis à Dien Bien Phu, en Indochine, en 1954. Cette guerre « sans nom » en Algérie, les chefs militaires français « veulent et doivent » la gagner à tout prix, souligne la voix off.

De fait, ils l’ont gagnée sur le terrain des armes, tout en la perdant au même moment dans les cœurs d’une population autochtone choquée par la répression aveugle. Malgré les actions « civilo-militaires » de soldats français se transformant en médecins ou en instituteurs. L’Algérie : un cas d’école de l’échec de la doctrine de la contre-insurrection, qui ne manque pas d’entrer en résonance avec des conflits plus récents.

On songe à l’Irak, où les Américains voulaient conquérir « les cœurs et les esprits ». Comment ne pas voir dans la villa Sésini, où l’on torture à Alger, l’ancêtre de la prison d’Abou Ghraib, près de Bagdad ? On pense aussi à l’Afghanistan, où le fossé s’est inexorablement creusé entre les troupes de la coalition internationale et la population locale.

En 1962, le général de Gaulle, revenu aux affaires quatre ans auparavant, parvient péniblement à extraire la France du bourbier, au prix de flambées de violences. Reste la mémoire, douloureuse, enfouie, du désastre qu’a représenté la fin de « l’Algérie française ».

Paru dans Libération du 9 mars 2012

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Hommage à Benjamin Stora, Mucem, Marseille, 31 mai 2018

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