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Biographie

 

Par Clara Dupont-Monod 

Son dernier livre retrace l'itinéraire des Juifs d'Algérie, s'inspirant de sa propre famille. C'est en historien et en homme engagé que Benjamin Stora combat, depuis trente ans, l'amnésie qui entoure le destin de sa terre natale.

Une cordialité chaleureuse alliée à une énergie combative : voilà ce qui pourrait résumer Benjamin Stora. Avec comme grand combat celui des mémoires. Pour elles, il ne s'embarrasse d'aucune manière. Assis devant son bureau de bois, dans un appartement de la banlieue parisienne, Benjamin Stora fait un sort aux formules compassées. Il dit "choper", "bouffer", "ça chauffe tous azimuts". Il vibre, rougit, jubile, il s'emporte et se rassied, infatigable pourfendeur d'oubli.

A l'Institut Maghreb-Europe dont il est le fondateur et le responsable scientifique depuis 1991, ou à l'Inalco (Institut des langues et civilisations orientales) où il enseigne l'histoire du Maghreb, inlassablement, il tresse entre elles les mémoires de l'Algérie, la juive, la musulmane et l'européenne. Colonisation, décolonisation, immigration : rien de tout cela ne lui est étranger. Son malheur est de tout comprendre.

Il est né à Constantine, surnommée "la Jérusalem du Maghreb". A l'époque, en 1950, deux villes se superposent : une judéo-arabe, dans le vieux centre, et une autre, européenne, à l'écart. Déjà, la première se vide au profit de la seconde, prémices d'un mouvement qui mènera la communauté juive vers la métropole.

La famille Stora, elle, émigre en 1962, lorsque l'Algérie obtient son indépendance à l'issue de huit ans de guerre. Le père ferme son magasin de semoule. Il rejoint la cohorte d'immigrés, ces pères sans repère, sans travail. La famille occupe d'abord un appartement miteux dans le XVIe arrondissement parisien. Pourtant, Benjamin Stora poursuit des études au lycée chic Janson-de-Sailly. Après un déménagement en banlieue parisienne, la mère est embauchée à l'usine. L'enfant découvre la cadence ouvrière.

Autour d'eux plane la suspicion. On les qualifie de "pieds-noirs", une population qui, dans l'imaginaire français de l'époque, porte la culpabilité de la situation coloniale et de l'engrenage de la guerre d'Algérie. Le froid, l'hostilité ambiante incitent le jeune garçon à garder un silence rageur.

1968 balaie cette "honte des vaincus". Benjamin Stora a 18 ans ; il se jette à corps perdu dans la politique. Il adhère à l'OCI (Organisation communiste internationaliste, trotskiste) dirigée par Pierre Boussel dit "Lambert" - son militantisme d'extrême gauche durera jusqu'au début des années 1980.

Inscrit à Nanterre, Benjamin Stora se lie avec son professeur René Rémond, qui n'ignore rien des engagements politiques de son élève. Un jour de séminaire, Jacques Ozouf lui demande : "Et vous, quel est votre sujet ?" Il n'y a pas réfléchi. A cet instant René Rémond lâche : "Son sujet, c'est la guerre d'Algérie."

"Personne ne travaillait là-dessus" , se souvient Benjamin Stora, qui a décrit, dans La Gangrène et l'oubli , cette amnésie. C'est sous la direction de Charles-Robert Ageron qu'il rédige son DEA, puis en 1978 sa thèse sur le nationaliste algérien Messali Hadj, pionnier des organisations indépendantistes algériennes, et fondateur en 1954 du MNA (Mouvement national algérien). Benjamin Stora ne cache rien des rivalités entre le MNA et le FLN ni de la manière dont les "messalites" ont été éliminés. Le sujet est tellement brûlant que la soutenance est surveillée par des gens de l'ambassade d'Algérie.

A l'époque, les départements d'histoire et de sociologie des universités françaises croulent sous les inscriptions d'étudiants venant du Maghreb et d'Afrique. "Le drame s'est joué là, affirme Benjamin Stora. La demande d'informations était très forte, elle est restée sans réponse. Il y avait la marche des Beurs, le drame de Vaux-en-Velin... La question d'identité des peuples anciennement colonisés surgissait, et rien n'était prévu."

Malgré un poste de maître de conférences en histoire, en 1986, malgré une thèse d'État portant sur "l'histoire politique de l'immigration algérienne", ensuite parue sous le titre Ils venaient d'Algérie , Benjamin Stora mesure la gêne qui entoure son sujet. "Le métier d'historien, c'était en partie comme poursuivre une passion de jeunesse , explique-t-il. Établir une vérité contre les mensonges d'État."

Progressivement, la recherche de vérité s'apparente à une recherche sur lui-même. Cela lui est apparu de façon évidente lorsqu'il est retourné en Algérie onze ans après son départ. Devant la tombe de son grand-père, "j'ai vu la fin de 2 000 ans d'histoire. La fin des Juifs d'Algérie" . Une fin préparée par "trois exils" qu'il analyse dans son dernier livre, Les Trois Exils juifs d'Algérie : le décret Crémieux de 1870, qui, en accordant la nationalité française aux seuls Juifs d'Algérie, les coupe de leur environnement musulman ; les lois de Vichy qui les en prive ; et l'exode de 1962.

Pour écrire ce livre, il a choisi comme fil conducteur l'histoire de sa propre famille, mêlant archives et souvenirs personnels sans verser dans l'autobiographie. A travers la saga des Stora et des Zaoui, natifs de Constantine, se révèle le devenir d'une communauté, au gré des échanges entre Européens et Maghrébins, entre Juifs et musulmans.

Benjamin Stora reste marqué par la cordiale entente entre Juifs et musulmans qu'il a connue enfant à l'école publique de Constantine. Pour lui, la crise identitaire que traversent les deux communautés est imputable aux échecs de la politique. "On dira ce qu'on voudra de 1968. Reste qu'après cette date aucun mouvement n'a réellement mis en avant une politique égalitaire, axée sur l'action politique." Déçu, il a cessé de militer en 1985 pour se replier sur la sphère universitaire. Un drame familial accélère ce repli. "Fondamental. Après ça, je n'ai plus été le même."

Il continue pourtant, mû par une infatigable soif de dire et de savoir. En 1995, en pleine vague d'attentats islamistes à Paris, il prend la parole pour dénoncer la responsabilité des islamistes et de certains cercles du pouvoir algérien dans le déferlement de la violence. Il reçoit des menaces de mort et quitte, discrètement, avec sa famille, la France pour le Vietnam. "J'avais écrit Imaginaires de guerre : Algérie-Vietnam, explique-t-il. Ce pays m'intéressait."

Ce nouvel exil va geler ses élans. Benjamin Stora se dit "las" . Il égrène les événements de sa vie, comme une longue litanie d'obstacles. Fervent idéaliste, il a tenté un retour à la politique, en 2001. "J'ai cru à un retour de la gauche. Une gauche non stalinienne, non tiers-mondiste, non gestionnaire. Qui pourrait assurer une transmission politique avec la génération de mon fils." Pour cela, il fonde un groupe de réflexion. Son nom résumait à lui seul l'entreprise de sa vie : "Mémoire et politique".

Clara Dupont-Monod

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Ouvrages

Hommage à Benjamin Stora, Mucem, Marseille, 31 mai 2018

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