Notice : STORA, Benjamin (né en 1950), in Dictionnaire de la guerre d’Algérie, Paris, Ed Laffont, collection « Bouquins », 2022.
Benjamin Stora est assurément l’historien le plus reconnu sur l’histoire de la guerre d’indépendance algérienne, de la colonisation et des mémoires de cette période. Né le 2 décembre 1950 à Constantine dans une famille juive d’Algérie, il est le témoin de violences pendant la guerre d’indépendance algérienne. Ses parents s’exilent en France en juin 1962, ce qui conduit à un déclassement familial : la famille vit à Sartrouville, sa mère travaillant à l’usine. Lui subit des quolibets quant à son accent. La politique constitue un très puissant moyen d’intégration : à 17 ans, au moment de Mai 1968, il s’engage dans l’Organisation communiste internationaliste (OCI), parti trotskiste de tendance lambertiste fondé en 1953. Il devient un militant de premier plan au cours des années 1970, ce qu’il raconte dans La dernière génération d’octobre. Bien qu’il suive certains de ses camarades au Parti socialiste après la victoire de François Mitterrand, il s’éloigne de la politique à la fin des années 1980, à la suite du décès de sa fille emportée par un cancer à l’âge de 12 ans.
Parallèlement, il a commencé une thèse sur Messali Hadj sous la direction de Charles-Robert Ageron, qu’il soutient à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) en 1978. Elle est publiée sous le titre Messali Hadj : pionnier du nationalisme algérien (Le Sycomore, 1982). Puis Benjamin Stora élabore un Dictionnaire biographique de militants nationalistes algériens, 1926-1954 (L’Harmattan, 1985), qui lui sert pour sa thèse de sociologie, soutenue à l’Université Paris VII en 1984. Il devient maître de conférences en 1986, à l’université Paris 8. Sa thèse d’État, soutenue en 1991, lui permettant de devenir professeur des universités, porte sur l’immigration des Algériens et a été publiée sous le titre Ils venaient d’Algérie : l’immigration algérienne en France (1912-1992), aux éditions Fayard en 1992 et Hachette en 2005. Dans le contexte des émeutes d’octobre 1988 en Algérie et de la montée du fondamentalisme islamiste, il a l’idée de créer un centre universitaire spécialisé sur le Maghreb : l’Institut Maghreb-Europe, codirigé par René Gallissot*, est ouvert en 1990 à l’Université Paris 8. Il publie dans le même temps son maître-livre, La gangrène et l’oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie (La Découverte, 1991), consacré à l’histoire des mémoires de ce conflit. À la même période est diffusée la série de quatre documentaires Les années algériennes, qu’il réalise avec Bernard Fabre et Philippe Alfonsi, et qui est diffusée sur France 2 en septembre – octobre 1991. Le documentaire fait l’objet de critiques qui lui reprochent de renvoyer dos à dos les belligérants du conflit et de faire un film « colonialiste », mais aussi des partisans de « l’Algérie française », qui qualifient ce film d’anticolonialiste et de faire la part belle aux nationalistes algériens. L’extrême droite qualifie d’ailleurs facilement Benjamin Stora d’« historien du FLN ».
Benjamin Stora fait un infarctus en plein cours à l’université en 1995. Après sa période de convalescence, menacé de mort par des fondamentalistes islamistes, il décide de poursuivre ses recherches à Hanoï en 1996-1997, d’où il ramène le livre Imaginaires de guerre. Algérie – Vietnam. En France et aux États-Unis (La Découverte, 1997). Il part ensuite à New York en 1998 et à Rabat, au centre Jacques-Berque de 1998 à 2002. À son retour en France, il enseigne à Sciences Po, puis à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) et enfin à l’université Paris-13. Poursuivant parallèlement son travail d’écriture, avec une quarantaine d’ouvrages à son actif, qu’il ouvre notamment aux relations entre les juifs et les musulmans avec Abdelwahab Meddeb (Histoire des relations entre juifs et musulmans des origines à nos jours, Albin Michel, 2013), il participe à la réalisation de nombreux documentaires et œuvres filmiques, et est le commissaire général de plusieurs expositions, dont « Juifs d’Orient » à l’Institut du monde arabe (IMA) en 2022. En 2013, il devient inspecteur général de l’Éducation nationale, puis il est nommé en 2014 président du Conseil d’orientation du Palais de la Porte dorée, qui comprend le musée national d’Histoire de l’immigration (MNHI).
Enfin, en juillet 2020, le président de la République Emmanuel Macron charge Benjamin Stora d’une mission sur « la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie ». L’historien remet son rapport au président le 20 janvier 2021 (publié sous le titre France-Algérie. Les passions douloureuses). Ce rapport préconise des mesures concrètes permettant d’aller dans le sens d’un apaisement des relations avec l’Algérie et d’une réconciliation des peuples français et algériens. Il est critiqué par certains comme n’allant pas assez loin, et par d’autres comme allant dans le sens d’une « repentance ». Il a contribué à instituer une Commission mémoires et vérité pour mettre en œuvre les 22 préconisations, dont plus de la moitié ont été réalisées et dont certaines sont encore en cours, comme l’Office franco-algérien de la jeunesse et le musée de la France et de l’Algérie, qui doit ouvrir ses portes à Montpellier. Il est reçu le 4 juillet 2022 par le président algérien Abdelmadjid Tebboune qui lui suggère la mise en place d’une Commission mixte entre historiens français et algériens pour une écriture scientifique de l’histoire de la colonisation française.
Tramor Quemeneur
Bibl. : Benjamin Stora, La Gangrène et l’Oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie, La Découverte, 1991 • —, Une mémoire algérienne, Bouquins, 2020 • —, France-Algérie. Les passions douloureuses, Albin Michel, 2021.