La première partie commence avec l’instauration du « Pacte fondamental » de 1857 et se termine par l’arrivée des Français en 1881. L’auteur décrit le début du processus d’occidentalisation qui traverse les communautés juives indigènes (Swasa) et ibéro-italiens ( les Granas). Dans la seconde partie de la thèse, Madame Cohen Rubinstein aborde de front le processus de « modernisation » de la fin du XIX e siècle à la Seconde guerre mondiale. Pour Benjamin Stora c’est l’aspect le plus important de ce travail, puisque, à la fin de cette séquence, le processus « d’occidentalisation » semble achevé. Mais il regrette que les définitions (acculturation, assimilation, francisation, déjudaisation) ne soient pas plus approfondies dans le développement de ce processus.
De la première guerre mondiale, à l’entre-deux-guerres, les résonances conjointes de la sécularisation française, du nationalisme arabe - avec la création du Néo-Destour tunisien d’Habib Bourguiba- et du sionisme politique se mêlent et s’accélèrent l’appartenance des Juifs de Sousse à l’univers occidental. Benjamin Stora s’étonne toutefois de l’importance donnée à l’idéologie sioniste dans l’avant 1939 (qui n’est pas établie de manière statistique ou archivistique) et la sous-estimation du poids de la gauche d’origine européenne (confrontée au fascisme italien). Il regrette la faible part méthodologique donnée à l’acculturation linguistique, en rapport avec l’abandon de l’univers traditionnel arabo-musulman ( avec le retrait des Juifs, progressivement, des pratiques musicales ou vestimentaires traditionnelles ). La thèse aborde dans cette séquence historique le rôle de l’école française et de l’Alliance Israélite Universelle ou de la Franc-Maçonnerie, sans s’attarder sur le rôle des partis politiques ou des syndicats. La complexité de la société musulmane, elle aussi confrontée à l’irruption de l’acculturation/modernisation venant de l’Europe, est peu traitée (en particulier dans ses rapports à la communauté juive).
La dernière partie de 1939 à 1957, insiste sur trois moments essentiels : le régime de Vichy, et la persécution, spoliation, des Juifs de Sousse ; la création de l’Etat d’Israël et la charge affective très forte qui traverse cette communauté à propos de l’existence de ce nouvel Etat ; la décolonisation, et la proclamation de la République tunisienne qui provoque de multiples interrogations. Cette dernière partie décrit le basculement définitif vers l’Occident des Juifs de Sousse. Près de la moitié des membres de la communauté se dirige vers Israël, et une autre partie, progressivement, se rendra en France.
Pour Benjamin Stora, l’intérêt de ce travail réside dans le fait que cette thèse éclaire sous un jour nouveau l’histoire générale de la Tunisie et des Juifs de ce pays. L’exercice monographique est intéressant en ce qu’il révèle la singularité d’une communauté, montrant des Juifs du « littoral » différents de ceux de « l’intérieur », insistant sur la distance avec la capitale, Tunis, et expliquant « le provincialisme » d’une minorité en situation pré-coloniale. La masse des archives consultées, à Paris, Nantes, Aix, Tunis, ou Jérusalem est impressionnante (en particulier les archives de l’Alliance), et les témoignages recueillis, construisent « un patrimoine mémoriel » considérable.
Mais Benjamin Stora note que certaines grandes questions de méthode n’ont été qu’effleurées, en particulier celles de l’acculturation ou du départ vers la France et non de manière vers Israël ( alors que l’auteur n’a cessé d’expliquer l’importance grandissante de la politique israelienne dans la vie quotidienne des Juifs de Sousse).
Cette grande « énigme » n’est pas vraiment levée. Benjamin Stora remarque, en conclusion, que le travail de Madame Claire Cohen-Balaloum-Rubinstein permettra, dans un avenir proche, l’ouverture de pistes nouvelles sur les Juifs du Maghreb en situation coloniale.