Intervention de Benjamin Stora lors de la soutenance de thèse.
Le professeur Benjamin Stora, directeur de thèse, présente le travail de Mademoiselle Malika Rahal. Agée de 33 ans, agrégée d’histoire, M. RAHAL a réussi à faire sa thèse tout en étant enseignante dans différents lycées de la région parisienne. Elle a ensuite obtenu, pour terminer sa recherche, un détachement CNRS à l’Institut d’Histoire du Temps Présent ( IHTP ). Malika Rahal a publié différents articles, en France dans la revue du XX ème siècle et en Algérie dans la revue INSANIYAT. Elle a également organisé des colloques, dont celui sur « Les partis en situation coloniale », à l’IHTP/Paris I en 2007.
Pour son directeur de thèse, le travail de Malilka Rahal, comble une importante lacune : il n’existait pas jusqu’à présent, d’études sur l’Union Démocratique du Manifeste Algérien (UDMA). Ce courant sort ainsi de « l’ombre », avec ses grands leaders comme Ferhat Abbas et Ahmed Boumendjel, ses militants, sa presse. L’étude permet ainsi de découvrir un parti, en fait véritable formation/front anti coloniale, qui bouscule, déstabilise le statu quo de la société algérienne fonctionnant sous la domination française. La mise en contradiction des principes républicains égalitaires avec le système colonial de ségrégation, participe de la fabrication d’une certaine politique algérienne moderne, celle d’un « républicanisme musulman ».
Le travail de Malika Rahal éclaire ainsi toute la période qui précède l’insurrection de novembre 1954 contre la France. On voit bien que la séquence de l’après guerre, commencée après les massacres de Sétif et de Guelma en mai juin 1945, n’est pas celle de l’attente, de la paralysie mais de l’accumulation de forces et de « capital symbolique » contre la présence coloniale française en Algérie. L’UDMA s’enracine dans le paysage politique algérien par sa participation à différentes consultations électorales. Elle s’impose de la sorte comme une grande force devenant la vitrine politique de l’Association des Oulémas ( les docteurs de la loi musulmane ), créée par Abdelhamid Ben Badis en 1931 Cette alliance culturelle entre « religieux » et « républicains » (fortement laïcisés ) constitue une grande nouveauté dans l’analyse de la vie politique algérienne, révélée par cette thèse. Benjamin STORA insiste, dans sa présentation, sur ce regard nouveau porté sur le « monde indigène », ses élites citadines, ses leaders culturels, ses inscriptions dans le monde électoral, autant de traits éloignés des images et catégories de « ruralité « ou de mobilisation « plébéienne » servant à décrire le mouvement national algérien généralement. La thèse de Malika RAHAL, selon Benjamin STORA, pose une énorme question : existait-t-il la possibilité de sortir du blocage colonial, sans recourir à la violence ? Ce courant « udmiste » refusait en effet le populisme révolutionnaire, le passage à la lutte armée, et prônait les vertus de l’éducation, de l’instruction, la conquête patiente de l’opinion publique musulmane. L’UDMA et le lecteur de la thèse pourra le découvrir, est une organisation, à la fois « légaliste » et en « rupture » avec la politique française coloniale. Par la mobilisation politique, l’UDMA ouvre ainsi une issue, et surtout accompagne le mouvement de la société indigène vers l’indépendantisme, passant de « l’autonomie » au « fédéralisme », pour finir par se rallier au FLN en 1956. Cette trajectoire illustre toute la complexité de cette formation au croisement de multiples influences : le modèle communiste et son système d’organisation, le libéralisme et républicanisme français, l’utilisation du jeu électoral et le messianisme religieux musulman. Malika Rahal a bien expliqué dans sa thèse pourquoi ce courant, si original, a disparu de la scène algérienne après l’indépendance de 1962. Il était l’expression d’une possible voie pacifique pour sortir de la colonisation, et le porteur d’une sorte de « mixte culturel » en la l’Algérie et la France. Benjamin Stora, dans sa conclusion, explique ainsi pourquoi les anciens « udmistes » de Ferhat Abbas ont pu être mise au secret, parce que porteurs d’une conception ouverte, démocratique de la société algérienne. Pour son directeur de thèse, qui félicite Malika Rahal, ce grand travail participe donc de la connaissance pour un possible établissement de la démocratie politique en Algérie.