Algérie Maroc, histoires parallèles, destins croisés - Editions Maisonneuve et Larose, Collection Zellige 2002, 195 p., 15 €
« Fruit de son détachement à Rabat de 1998 à 2001, cette très belle synthèse entreprend une étude en parallèle des nationalismes algérien et marocain dont les racines remontent à la prise d’Alger en 1830. Outre une précieuse chronologie comparative, du traité de Fès (1912) aux avènements de Mohamed VI et de Bouteflika (1999), afin d’étayer la démonstration cet ouvrage contient une série d’interviews de Benjamin Stora à des journaux marocains.
Cette histoire parallèle est écrite avec l’aisance habituelle de l’auteur, et l’appareil scientifique des notes donne d’utiles précisions pour des sources peu connues en France. Cet essai historique aux propos décapants évoque parfois le beau livre que Daniel Rivet vient de consacrer à l’histoire comparée du Maghreb.
Benjamin Stora livre tout d’abord l’approche semblable de la nation : une communauté majoritaire de croyants, une ouverture sur le monde moderne conduite en parallèle depuis les années 1930 (« Jeunes Marocains » de Allal el Fassi, « Jeunes Algériens » de Ferhat Abbas...), et un rejet de l’acculturation née de la conquête coloniale, quoique ce discours anticolonial s’accompagne du respect de la langue de Voltaire. La conscience d’appartenir à une entité maghrébine au nom du combat anticolonial explique l’histoire en parallèle des années 1950 quand les armes sortent des fourreaux. Benjamin Stora, en croisant les sources, donne des précisions sur ces « commandos nord-africains » apparus en avril 1954 et les routes de l’acheminement des armes au bénéfice du FLN en 1955. (…)
De ces destins croisés, ressortent aussi de profondes différences, qui débouchent parfois sur des rivalités conjoncturelles. La pérennité du Maroc repose sur le long terme dynastique qui survit à l’occupation coloniale. Cette vieille nation se différencie donc de la « nation tardive » algérienne, née de la rupture brutale avec la colonisation. En Algérie, la construction de 1’Etat-FLN a précédé celle de la nation, d’où la crise actuelle de légitimité, 1’impossibilité des réformes de fond depuis l’assassinat de Mohammed Boudiaf en 1992 et les risques de dislocations (Kabylie) d’un Etat autoritaire et centralisé. Les deux Etats, depuis 1962, se définissent aussi, parfois, par opposition à propos de territoires frontaliers. Un des apports de cette synthèse est bien de proposer une évocation des « guerres des frères » : la première, celle dite des sables d’octobre 1963, la seconde, celle de janvier-fevrier 1976, suite à la célèbre « Marche verte », sans oublier le grave incident de frontière du 30 septembre 1999 près de Bechar. (…)
Cette recherche d’identité, qui accompagne à la fois la mondialisation à laquelle les jeunes du Maghreb sont favorables, ce besoin de justice et de vérité permettent de revisiter l’histoire, non plus celle des peuples, celle des Etats-nations cloisonnés, mais celle des régions (Rif, Sahara occidental, Kabylie). Pour cette société civile, reconnue à présent au Maroc à en croire la tenue d’élections démocratiques, encore en instance dans une Algérie qui a glissé dans les affres de la guerre civile, il s’agit bien de passer de la mémoire officielle qui occulte des pans entiers (assassinat d’Abbane Ramdane...) à l’histoire-citoyenne. Accepter toutes les richesses du passé, c’est construire un nouvel avenir, peut-être celui du Maghreb des régions, suggère Benjamin Stora. »
Compte rendu de lecture de Jean-Charles Jauffret, décembre 2002
Professeur IEP Aix-en-Provence