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Comptes rendus d'ouvrages

 

La guerre invisible - Algérie années 90. Ed Presses de Sciences Po (7 mars 2001) Coll. La bibliothèque du citoyen, 125p.

6_la-guerre_invisible_BStoraDans un essai d’une brièveté percutante, l’historien Benjamin Stora, se demande comment il est possible de comprendre une guerre lorsqu’elle est invisible. L’invisibilité c’est le manque d’image, l’absence de télévision. Jean Baudrillard avait déjà affirmé pour les mêmes raisons, que la guerre du Golfe n’avait pas eu lieu. De la part de Baudrillard qui surfe avec virtuosité sur les vagues des représentations ce n’était ni étonnant ni convaincant. Mais Stora, lui, est un historien.

Grâce à lui, entre autres, on sait ce qui s’est passé en Algérie, comment et pourquoi. Il a travaillé à peu près comme les historiens qui l’ont précédé depuis deux mille ans, avant l’invention de la télévision. Il n’a pas douté de la réalité de l’événement sous le prétexte qu’il n’avait inspiré aucun « livre d’heures » ou aucun grand tableau. Sans doute, nous autres historiens du présent, avons fourni à ses pairs comme à lui des témoignages et des chroniques qu’il a retrouvés comme autant de matériaux ou d’archives. Mais enfin il a réussi voir, c’est-à-dire à imaginer l’invisible.

Alors si son livre est éminemment précieux comme synthèse des événements, des questions, des interprétations contradictoires, et des énigmes. Et s’il faut le lire pour éviter toute attitude dogmatique ou péremptoire devant une si abyssale complexité, en revanche, on ne comprend pas très bien quelle conclusion l’auteur tire de ses réflexions. La télévision façonne désormais l’opinion publique ? Sans doute. Elle vient de susciter une émotion pro-palestinienne considérable grâce à certaines images, d’un gosse tué dans les bras de son père alors qu’elle ne pouvait que laisser indifférente la même opinion à l’égard d’une région algérienne où pendant la même semaine il y avait plusieurs massacres collectifs. Encore faudrait-il nuancer. Il peut y avoir saturation. Une image chasse l’autre. La surabondance des émotions provoquées peut conduire à les détruire toutes. Mais enfin acceptons l’évidence que désormais il n’y a pas d’opinion sans images. Comment un historien peut-il dire qu’il n’y a pas pour autant d’événement et surtout qu’il n’y a pas d’histoire ? D’autant que les historiens peuvent faire eux-mêmes un usage très insuffisant des images, que savons-nous sur les assassinats de Kennedy ou de Boudiaf qui ont pourtant été réalisés en direct ?  Sans les images il n’y a pas d’émotions, mais avec les images, il n’y a pas de sens.     
   
En revanche, ce que ce livre restitue avec force et comme malgré l’auteur dont ce n’est pas le propos, c’est l’épouvantable logique d’une violence qui, décidée comme moyen, se prend vite pour fin, où les acteurs s’entremêlent, où les ennemis finissent par se ressembler, où la vie perd tout son prix, où les enfants et les vieillards servent d’holocaustes et où la cohabitation avec la barbarie devient naturelle. Il y a autre chose que l’on retire de cet essai, c’est l’impossibilité de superposer la violence de la guerre d’Indépendance contre les Français et la guerre civile des dernières années. Stora montre bien que la guerre d’aujourd’hui est livrée par des islamistes qui ne se sont pas sentis concernés de 1954 à 1962 par la révolution algérienne. Bref, ce n’est pas la guerre qui est invisible, c’est son sens qui est difficilement décelable. Avec Benjamin Stora, on comprend mieux pourquoi on ne peut pas comprendre.

Jean Daniel

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Hommage à Benjamin Stora, Mucem, Marseille, 31 mai 2018

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