Benjamin STORA - Les immigrés algériens en France Une histoire politique 1912-1962 (Hachette Littérature/Pluriel, 2009, 492 p., 12,90 €)
Cette histoire politique de l’immigration algérienne est un ouvrage de référence englobant une période allant de la veille de la Guerre de 1914 jusqu’aux lendemains de l’Indépendance. Vaste période donc qui suit les vagues successives d’installation en métropole de ces migrants, militants de l’indépendance, dont les enfants revendiquent aujourd’hui leur part de citoyenneté française. Cette Histoire, trop rarement abordée et aussi rarement transmise, d’un engagement politique appréhendé à travers une succession d’enchaînements historiques, restitue une mémoire oubliée.
Oubliés les « pionniers » de l’immigration employés dans les centres d’armement à la veille de la Grande guerre. Oubliés les « convoyeurs », ouvriers recrutés, la plupart par la force, pour les travaux militaires pendant toute la durée du conflit. Oubliés les 25 000 soldats algériens tués au front. Pour ces citoyens de seconde zone, soumis au Code de l’indigénat, c’est la découverte de la contestation et d’une rupture possible avec l’ordre colonial.
L’ouvrage retrace la naissance heurtée des organisations politiques algériennes en France dans un contexte de vie sociale particulièrement difficile d’où émergent, pour ces communautés, de nouveaux comportements, de nouvelles habitudes. L’auteur explique comment exil, politique et nationalisme aboutissent à la création du premier parti indépendantiste, l’Etoile nord-africaine, avec le soutien du Parti communiste français. De la proximité à la répression, c’est aussi une histoire d’espoir déçu entre la gauche française et le nationalisme algérien que nous conte Benjamin Stora. Tandis que le Front populaire intensifie la répression contre les nationalistes algériens, des liens se créent avec la gauche révolutionnaire, troskyste et anarchiste, un soutien idéologique et matériel qui sera plus tard mis en lumière avec la Guerre d’Indépendance. L’auteur opère toute une réflexion sur la résistance à l’intégration dans les milieux nationalistes qui s’approprient, néanmoins l’idéologie égalitaire portée par les principes de la révolution de 1789. « Le choc de la [Seconde] Guerre mondiale » aborde la délicate question de la collaboration de certains indépendantistes avec le nazisme pour des raisons nationalistes. Une orientation qui sera utilisée, plus tard, par le Parti communiste français « pour gommer la participation active d’Algériens dans les rangs de la résistance française ».
La partie la plus importante de l’ouvrage est consacrée à la guerre de Libération. Tous les aspects en sont traités de façon claire et méthodique depuis l’insurrection de 1954. Guerre idéologique, d’abord, entre MNA et FLN avant de virer à la discorde meurtrière. Montée en puissance de la Fédération de France, luttes de tendances au sein des syndicats comme dans les milieux étudiants, émergence de l’Islam comme pilier du nationalisme algérien, censure et formes diverses de répression au sein de la République… L’étude des structures et modes de fonctionnement du FLN annonce la gouvernance algérienne au lendemain de l’Indépendance. A noter ces quelques pages consacrées au 17 Octobre 1961, sa mise en perspective avec la répression du 8 février 1962 au métro Charonne, ses causes et ses conséquences sur les combats futurs pour les droits de l’homme. L’histoire des immigrés algériens en France est une histoire en devenir, celle de la génération des « Beurs » soucieux de concilier le passé de leurs parents et leur propre intégration dans la société française. Cet ouvrage remarquablement documenté devrait y contribuer.
Meriem Nour