Cette conférence était organisée par l’IHEDN (Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale) à l’Ecole Militaire.
Benjamin Stora, Professeur des Universités et Président du Musée de l’Histoire de l’Immigration est intervenu sur le thème « Immigration : d’hier à aujourd’hui… ».
Né en Algérie en 1950, docteur en sociologie, docteur d’état en histoire, il est aujourd’hui président du musée de l’immigration. Il a publié une trentaine d’ouvrages sur l’Algérie ou l’immigration.
Benjamin Stora démarre la conférence en rappelant que le sujet de l’immigration est si vaste qu’il n’en traitera que quelques aspects :
- En guise d’introduction, il précise que la question migratoire a une nouvelle fois fait irruption dans le débat politique français en 2015 : l’Europe et la France ont été confrontés à la plus grande crise migratoire depuis 1945 : plus de 1 million de réfugiés sont entrés en Allemagne en 2015. En l’espèce, c’est la conjonction du nombre de migrants, de la rapidité de la vague et de la mise en relation immédiate de la question migratoire et de la question géopolitique qui a surpris.
- La question des définitions s’impose : on a beaucoup parlé de migrants alors qu’avant on parlait d’immigrés ou d’étrangers. Ce nouveau vocabulaire s’est installé comme mot « fourre-tout » avec un effacement de frontières théoriques entre le migrant permanent ou temporaire. La notion de « réfugiés » est revenu aussi sur le devant de la scène. Dans ce bouleversement, il y avait aussi la sensation d’une difficulté supplémentaire en Europe car la vague migratoire n’a pas été intégrée dans les sociétés dites d’accueil. La nouveauté de cette vague est donc apparue face à une classe politique qui s’est trouvée désemparée. D’où la tentation du repli et de la fermeture alors que l’Europe a été conçue comme un espace de liberté de circulation.
- Faut-il refermer les frontières face à cette vague migratoire qui risquerait de remettre en question le modèle social ou faut-il accueillir et anticiper avec la construction de camps de réfugiés ? Un débat apaisé s’impose sur ce sujet. En effet, il faut souligner le paradoxe français : pourquoi la France a t’elle accueilli le moins de réfugiés en Europe alors qu’il s’agit d’un vieux territoire d’immigration ? La question est vraiment paradoxale car la France s’est construite tout au long du XXème siècle sur la question migratoire, mais ces vagues migratoires donnent le sentiment d’avoir été plus faciles à intégrer que celles actuelles. Historiquement, l’immigration venait en renfort de la construction d’une identité nationale française, soit à des fins de reconstruction après les guerres ou pour accompagner l’essor économique. Ces vagues migratoires étaient européennes (belges, suisses avant la 1ère guerre mondiale) puis en provenance d’Europe centrale, d’Italie et Espagne (avec un pic de 450.000 immigrés espagnols en quelques semaines seulement)
- Historiquement, le modèle social, économique et politico-culturel permettait l’intégration. C’est ce que l’on appelle le récit national français par l’assimilation politique et culturelle. Mais dans ce sentiment que l’on a, il y a déjà une très grosse difficulté d’intégration ou de l’opposition (notamment dans les années 1930) avec de l’antisémitisme ou du racisme. On a donc gardé une version plus édulcorée en gommant toutes ces aspérités.
Benjamin Stora poursuit alors son exposé en se demandant si l’on assiste à une remise en question de ce type de mécanisme d’intégration ? Plusieurs réponses peuvent être avancées :
Pendant longtemps, l’immigration était vue sous un angle social, de la force de travail.
- Depuis 1970-1980, la question de l’immigration est vue sous l’angle de la mondialisation. La France n’est plus dans un système exclusif de tête à tête avec ses anciennes colonies. Le terrain est plus vaste et l’immigration concerne 240 millions de personnes sur le plan international. La plupart des pays de l’OCDE sont tous soumis à des pressions migratoires. Le Royaume-Uni accueille 300.000 étrangers par an, la France 250.000 immigrés en 2015 avec un solde positif de 35.000 et en plus 70.000 étudiants étrangers.
- Par ailleurs, le dérèglement climatique va aller en s’accélérant, notamment en Afrique sub-saharienne, provoquant de réelles perturbations géopolitiques.
- Il existe désormais une mise en concurrence des savoirs des gens hautement qualifiés qui circulent pour se vendre au meilleur prix. Ce sont les expatriés et notamment chez les jeunes générations.
- La peur de l’effacement des points de repère culturels et identitaires : la montée en puissance des nationalismes politiques vient en miroir de l’accélération de la mondialisation. C’est un paradoxe qui provoque aussi des soubresauts, des chaos politiques, des fragilités démocratiques. D’où l’émergence de sociétés multiculturelles où l’on peut conserver des traditions d’origine mais qui n’apparaissent pas comme contradictoires avec les pays d’accueil. On parle d’hybridation culturelle des sociétés qui provoque des comportements de repli pour préserver l’identité nationale.
- Ces immigrations nouvelles sont en grande partie en provenance du sud de la méditerranée notamment d’Afrique du nord et sub-saharienne. Il faut constater que la plupart de ces personnes sont des immigrations de type post colonial, selon le vocabulaire historique. C’est une immigration déjà ancienne (3ème ou 4ème génération). L’histoire politique de ces immigrations est donc différente. Les différences sont-elles d’ordre culturaliste et religieux ou proviennent-elles d’un rapport à l’histoire coloniale ? Or la connaissance de l’histoire politique de ces 3 pays maghrébins est très faible. Et au sein des familles, il n’y a pas eu de transmission mémorielle. Notamment la perspective de retour au pays ne s’est pas faite et dans ces silences des pères ou grand-pères, les récits intégristes se sont infiltrés. Ces deux déficits mémoriels cumulés donnent des nouvelles générations privées de mémoire qui se forgent des mémoires fabriquées particulièrement dangereuses. Il existe un véritable défi à relever pour montrer d’autres histoires à ces populations. D’où la naissance du musée de l’immigration dans les années 2000 décidée par Chirac en liaison avec Toubon.
Benjamin Stora conclut son intervention en insistant sur le fait que la transmission de mémoire et les identités nationales sont autant de questions graves. L’histoire de l’immigration a irrigué l’histoire française, certes avec des difficultés mais sans omettre que l’intégration de l’immigration a été aussi une chance pour la France.
Puis la parole est passée à la salle :
A cette occasion, Benjamin Stora rappelle que la République dispose traditionnellement d’outils d’intégration : école, armée, engagement politique et syndical. Or il existe une crise de ces institutions qui étaient de formidables outils d’intégration.
Il rappelle également que les trois âges de l’immigration sont l’intégration par le travail, puis la réussite sociale et enfin l’interrogation sur les origines. Or il existe un grippage sur le deuxième volet et les immigrés vont chercher le retour aux origines sans pouvoir prendre appui sur une réussite sociale.
Conclusion de France Audacieuse
Une fois encore, les initiatives de l’IHEDN sont à saluer.
Les Lundis de l’IHEDN ont pour mission de nourrir la réflexion sur des thèmes variés. Cette soirée a permis une véritable mise en perspective de l’immigration en posant les problématiques sans prisme politique.Un débat éclairant et utile, devant un amphithéâtre plein à craquer.
Alexia Germont – 25 janvier 2017