Une vie partagée avec mon père, Messali Hadj,
Paris, Ed Riveneuve, 2013. 394 pages. 18 euros.
Messali Hadj, le fondateur de la première organisation nationaliste algérienne dans les années 1920, a longtemps été un personnage maudit de l’histoire intérieure algérienne. Ses partisans, regroupés dans le Mouvement national algérien (MNA), se sont durement affrontés à ceux du FLN pendant la guerre d’Algérie. Ils ont été vaincus, et le nom de Messali a disparu de la scène publique après l’indépendance de 1962. Mais le personnage Messali n’avait jamais été oublié par les Algériens, et son nom a refait surface, tout naturellement, à la fin du XXe siècle, notamment au moment du centième anniversaire de sa naissance, en 1998.
Sa fille, Djanina Messali-Benkelfat, vient de publier aux éditions Riveneuve un livre de mémoires. C’est un témoignage saisissant et précieux sur sa vie aux côtés de ce père si présent pendant près d’un demi-siècle de l’histoire franco-algérienne. En 394 pages, elle nous fait revivre tous les combats livrés par le nationalisme algérien depuis les années 1930, jusqu’à la guerre d’indépendance algérienne. Elle évoque la figure de sa mère, Emilie Busquant, militante anarcho-syndicaliste, féministe, anticolonialiste qui lia son sort à Messali, inventa avec lui le drapeau algérien et mourut juste avant le déclenchement de la guerre en 1953.
Djanina Messali Benkelfat traite des différentes luttes livrées par celui que l’on a longtemps comparé à Blanqui, « l’enfermé », ou « le prisonnier de la mer » comme disait André Breton lorsqu’il parlait de Messali en lui rendant visite à Belle-Isle. Tous les régimes de la IIIe ou de la IVe République craignait sa parole mordante, à Paris ou à Alger. À soixante ans encore, au moment de l’avènement de la Ve République, il est encore emprisonné (il sera définitivement libéré en 1959). Quiconque veut comprendre la persévérance du dissident doit faire connaissance avec Messali… Il réussit à rester homme du peuple tout en devenant une célébrité, ce qui fait de lui un symbole de la méfiance des hommes de son appareil politique. Au temps où la réussite passait par le fait de siéger dans un conseil municipal (suprême récompense accordée par le régime colonial aux indigènes), Messali sait résister à la tentation et prend le chemin de l’exil et des bagnes. C’est par ce moyen classique que le leader politique gagne en autorité. Il allait en prison sans amertume. Un procès était l’occasion d’acquérir une grande audience.
Mais le récit n’est une simple narration de l’histoire du nationalisme algérien, que l’on peut trouver chez des historiens chevronnés comme Mahfoud Kaddache, Mohammed Harbi ou Charles Robert Ageron. Il est aussi un portrait émouvant à hauteur d’homme qui nous montre les conditions terribles de détention de Messali Hadj, par exemple à Lambèse dans le sud algérien pendant la seconde guerre mondiale, crâne et sourcils rasés, boulets aux pieds, exhibé au centre la cour de la prison dans une cage, pour effrayer les autres détenus algériens. L’homme pourtant ne plia jamais, refusant à la fois les propositions de collaboration du régime de Vichy, et les promesses du nouveau gouvernement de la France libre après 1943.
Djanina Benkelfat revient sur les circonstances de la crise qui a entravé la marche de la principale organisation indépendantiste, le PPA-MTLD, au début des années 1950. Crise qui conduisit à la scission de ce parti à la veille du déclenchement de la lutte armée contre la présence coloniale française. Elle décrit les ambitions personnelles de certains dirigeants, les manoeuvres d’appareil et les influence étrangères, notamment égyptiennes, qui ont facilité la mise à l’écart de son père. Son livre est d’une grande puissance évocatrice lorsque les « règlements de compte » sont traités, entre le FLN et le MNA dans les années 1956 et 1962. Le massacre des villageois de Mélouza en mai 1957, puis l’assassinat d’une grande partie de la direction messaliste en octobre 1957 entraînent la perte d’influence de l’organisation. La fin de guerre est terrible, Djanina raconte la tentative d’assassinat de son père, son refus de se laisser instrumentaliser par la France au moment des accords d’Evian, et la solitude du vieux lutteur dans l’exil en France. Son enterrement à Tlemcen, sa ville natale, en 1974 est l’occasion d’une grande manifestation populaire, d’attachement à l’homme qui fût le premier à organiser le combat indépendantiste algérien.
Cette autobiographie, rapports d’une jeune fille et de son père, effarouchera sans doute quelques érudits de l’histoire algérienne, (notamment à propos des figures bien connues d’Abane Ramdane ou de Mohamed Boudiaf qui s’affrontèrent à Messali), bien que ses ingrédients aient été choisis avec un grand soin d’authenticité. Il reste que cet ouvrage fait plus que susciter la curiosité : il invite à la réflexion sur des problèmes plus vastes que la vie de Messali, sur lequel on a déjà publié quelques biographies ; la réflexion sur la fin de la démocratie à l’intérieur des organisations algériennes pendant la guerre, et la confiscation des combats livrés après l’indépendance de 1962.
Benjamin Stora.
Une vie partagée avec mon père, Messali Hadj,
Paris, Ed Riveneuve, 2013. 394 pages. 18 euros.