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C’est au sein de la prestigieuse collection “Bouquins” chez Robert Laffont que Benjamin Stora publie “Une Mémoire algérienne”. Il s’agit d’un recueil de textes écrits à partir de 2003. Ouvrage en grande partie autobiographique, car – sur les six essais – les trois premiers nous dévoilent l’homme, son enfance, son militantisme politique, son parcours professionnel. Le quatrième raconte l’histoire des juifs d’Algérie qui est aussi la sienne. Les deux derniers ont un caractère historique plus classique, apportant un éclairage sur le rôle du général de Gaulle et sur celui, moins connu – mais tout aussi surprenant – de François Mitterrand pendant la guerre d’Algérie. D’emblée ce titre pose question : ce n’est pas “une mémoire d’un pied noir”, ou “une mémoire d’un Français d’Algérie”, mais “Une mémoire algérienne”. L’auteur s’affirme donc “Algérien”. Voilà le fil rouge de la vie de Benjamin Stora, l’un des plus éminents spécialistes de l’Algérie dont les travaux sont une référence internationale.

Comme de nombreux Français d’Algérie, Benjamin Stora semble avoir été marqué à vie par sa terre natale qu’il a dû quitter en 1962. En lisant entre les lignes, on retrouve la souffrance qui est commune à tous ceux qui ont été confrontés à cette guerre : les Algériens, les Français d’Algérie, les harkis, les militaires, officiers ou hommes du rang, appelés ou d’active, enfin les Français de métropole qui étaient victimes d’attentats du FLN ou de l’OAS, et dont les enfants devaient partir se battre pour une cause qui les laissait souvent indifférents.

Les Clés retrouvées

L’auteur raconte ses premières années, à Constantine, se situant comme un enfant juif entre deux cultures : l’Orientale et l’Occidentale. Il décrit trois communautés, musulmane, juive et européenne qui vivaient totalement séparées. Les juifs et les musulmans avaient de nombreux points communs, mais, si leurs vies étaient imbriquées dans l’espace public, elles ne l’étaient pas dans l’intimité. Quant aux Européens, ils semblaient évoluer dans un autre monde.
Benjamin Stora montre les doutes de la communauté juive au moment de la guerre : devait-elle rester fidèle à la France ou rejoindre les nationalistes algériens ? Il raconte l’exode des juifs de Constantine en 1962 car ils avaient choisi de s’identifier aux Français en refoulant leur composante orientale ancestrale.
Leur départ ressemblait alors à celui de tous les pieds noirs.
On imagine la souffrance, le désespoir de cet enfant et de sa famille lorsqu’ils atterrissent à Orly avec deux valises. “Une hôtesse de la croix rouge nous a donné à chacun un bonbon, et c’est tout”. Conservaient-ils l’espoir d’un retour ? “Lorsque nous sommes partis de Constantine, le matin du 16 juin 1962, ma mère a lavé consciencieusement tout notre petit appartement. ( … ) Mon père a ensuite fermé lentement la porte avec les clés et les a données à ma mère qui les a mises dans son sac à main. Lorsque ma mère est décédée en 2000, j’ai retrouvé au fond du tiroir de sa table de nuit le trousseau de clés”.

La Dernière génération d’octobre

L’auteur nous raconte son chemin avec l’extrême gauche et l’on comprend qu’il y cherche, au début, une sorte de famille plus qu’une idéologie. Lui, l’adolescent exilé, ayant perdu ses amis, ses repères, jeune juif sépharade, pas tout à fait pied-noir, désorienté à Paris sans connaître tous les codes, rejoint un groupe et trouve une identité. Son engagement dans l’OCI (Organisation Communiste Internationale) auprès de Pierre Lambert, dans un contexte de semi-clandestinité, dura plus d’une quinzaine d’années, dans l’espoir d’une révolution amenant un monde nouveau.

Cet engagement fut intense, Benjamin Stora devint permanent du parti et accéda au comité central. Pourquoi en est-il sorti ? Sans doute pour avoir une vie familiale et professionnelle plus stable, mais aussi probablement par lassitude, lorsqu’il comprit que les membres de ces partis extrémistes consacraient plus de temps à prendre le pas les uns sur les autres qu’au combat contre ceux du bord opposé. Peut-être estima-t-il que la lutte des classes ne suffisait pas à expliquer les rapports entre les gens, mais que de nombreux facteurs comme l’appartenance à une communauté, à une religion, à un territoire devaient être pris en compte ?

Là encore, on peut penser que passer du domaine de l’utopie à un monde plus réel ne se fait pas sans souffrance.

Cet engagement à l’extrême gauche discrédite Benjamin Stora aux yeux de ceux qui doutent de son impartialité quand il traite l’histoire de la guerre d’Algérie puisqu’il se situait dans la mouvance anticolonialiste et pour l’indépendance des peuples. Il faut noter qu’il fut aussi menacé de mort par des radicaux islamistes, menaces qui le feront quitter la France durant plusieurs années.

Les Guerres sans fin

Benjamin Stora décrit le passage de l’activiste politique à l’historien, et sa formation trotskiste l’oriente vers l’histoire des vaincus, des petits, des réprouvés, d’où son travail sur Messali Hadj et plus tard le “Dictionnaire biographique des militants nationalistes algériens”.

Benjamin Stora occupe une position singulière de chercheur français, mais ayant vécu en partie les “évènements en Algérie”, son pays natal, cela lui permet “de voir des deux côtés”, position souvent difficile à tenir. Sa réflexion va du politique à l’histoire puis de l’histoire à la mémoire. Cela l’amène à analyser l’oubli, oubli légitime, oubli nécessaire, mais aussi oubli organisé par les états dans un processus de falsification de l’histoire. Benjamin Stora travaille sur les mémoires diverses qui s’ignorent, qui s’excluent, aboutissant à un phénomène de cloisonnement et finalement de rejet mutuel. Comment arriver à la réconciliation des mémoires ?

Les Trois exils

Dans cet essai Benjamin Stora raconte la saga des juifs d’Algérie, qui est aussi la sienne et celle de sa famille. Séparés, exilés de l’intérieur, réfugiés, voilà leur l’histoire.
Le premier exil est celui qui les a éloignés des autres indigènes, les musulmans, à la suite du décret Crémieux qui leur accorda, en 1870, la nationalité française, processus entraînant une acculturation relative de leur communauté.
Le second exil, est celui de la perte de leur qualité de citoyens français en 1940 à cause des lois anti-juives de Pétain, dont l’abolition du décret Crémieux. L’antisémitisme était, comme en métropole, institutionnalisé et c’est le débarquement américain en 1942 qui a sauvé les juifs d’Algérie de la déportation.
Le troisième exil se situe en 1962. Ils quittent en grand nombre la terre algérienne Ils deviennent des réfugiés, dans une France que la plupart d’entre eux ne connaissaient pas et pourtant à laquelle, paradoxalement, ils étaient viscéralement attachés. Ils se sont fondus dans la masse des Européens d’Algérie rapatriés dont beaucoup étaient antisémites. Ils ont dû concilier leur désir de s’assimiler à la société occidentale française et leur volonté de garder leurs traditions religieuses. Contrairement à la légende qui nous laisse entendre que l’Algérie coloniale était une sorte de paradis où tous vivaient en harmonie, les rapports étaient très tendus. Le pétainisme, l’antisémitisme étaient partagés par un grand nombre des Européens d’Algérie.

Le Mystère de Gaulle

Tous les pieds noirs, devenus pour la plupart des anti gaullistes viscéraux, se sont posés cette question : pourquoi s’est-il servi de nous pour nous trahir ensuite ? Cet essai, purement historique, est une tentative d’explication des motivations du général de Gaulle, qui, revenu au pouvoir à l’occasion des “évènements”, a engagé, contre la volonté des Français d’Algérie, le processus conduisant à l’indépendance. Benjamin Stora insiste sur l’importance, majeure à ses yeux, du discours du 16 septembre 1959 du Général, dans lequel l’autodétermination est évoquée pour la première fois. Il situe là le point de bascule des événements.

François Mitterand et la guerre d’Algérie

L’ambiguïté de François Mitterand était connue, dans son action publique, comme dans sa vie privée. Sa carrière a commencé sous la Quatrième République. Benjamin Stora nous rappelle que, durant le ministère de François Mitterand comme Garde des Sceaux en 1957, ce sont 45 condamnés qui ont été guillotinés et – dans nombre de ces cas – il avait approuvé les exécutions. Il nous décrit un homme habile, ambitieux, surtout préoccupé par son avenir politique et par son puissant désir de devenir Président du Conseil.
L’histoire retiendra de Mitterrand l’abolition de la peine de mort, mais qui était-il réellement ? Celui qui donnait un avis favorable à la guillotine ou celui qui fit voter l’abolition ?

“Une Mémoire algérienne” est une synthèse du travail considérable de l’historien Benjamin Stora, et une réflexion sur sa vie. Ce recueil fournit les outils pour mieux comprendre ce qui s’est réellement passé en Algérie, les motivations des différents acteurs, les malheurs de tous. Benjamin Stora est, et restera, une référence dans ce cadre. Pour beaucoup, LA référence.
Outre les éléments historiques, on y retrouve l’homme qui a perdu sa terre natale, son attachement à l’Algérie, sa souffrance d’exilé. Par ses travaux reconnus, par ses contacts, il a eu la chance de renouer, d’une autre façon, mais tout aussi intensément, le lien charnel qui l’unit à cette terre qui a brûlé beaucoup de ses enfants.

Robert MAZZIOTTA

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Stora, Benjamin, “Une mémoire algérienne”, Robert Laffont, “Bouquins”,19/03/2020, 1 vol. (XXI-1039 p.), 32,00€.

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Hommage à Benjamin Stora, Mucem, Marseille, 31 mai 2018

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