Le Village de l’allemand, ou le Journal des frères Schiller, de Boualem Sansal. In L’Histoire, mars 2008
Dans son journal intime, le narrateur du livre de Boualem Sansal écrit : « Enquêter sur les guerres passées est une galère, çà ne mène pas loin. Des impasses, des chemins qui se perdent dans le noir, des cloaques qui suppurent dans la brume, de la poussière qui s’élève en rideau de fumée à mesure qu’on tâtonne dans le vide. Je me rends compte de la difficulté de ceux qui sont chargés d’enquêter sur les crimes de guerre enfouis dans le silence, l’oubli et la connivence.
C’est mission impossible, la vérité est perdue dans l’herbe folle…. » Et pourtant il poursuivra, et découvrira la terrible vérité : son père, considéré comme un héros, un « moudjahid » de la guerre d’indépendance algérienne a commis des atrocités pendant la seconde guerre mondiale. De ce père allemand, il ne connaissait rien vraiment, ayant été élevé en France par un oncle immigré, dans une cité de la banlieue parisienne. Après l’assassinat par les islamistes en 1994 dans un village près de Sétif de son père et de sa mère, la terrible vérité éclatera…. Le livre de Boualem Sansal, véritable événement littéraire de la rentrée, est récit grave et profond sur la Shoah vue par les yeux d’un jeune arabe découvrant la réalité de l’extermination de masse, et la guerre civile algérienne, le combat des années 1990 qui a fait près de 150 000 morts en Algérie. Il brise un tabou, celui du lien, de la connivence entre islamistes, nationalistes et l’idéologie du national-socialisme. Bien sûr, l’engagement des Algériens dans le nationalisme indépendantiste ne saurait se réduire à cet aspect, et l’attitude du leader Messali Hadj refusant toute offre de collaboration avec le régime de Vichy et les Allemands, montre que beaucoup ont refusé d’aller sur cette voie. Mais le beau livre de Boualem Sansal a le mérite essentiel d’affronter cette réalité. Et, encore une fois, par le biais de la fiction, un grand écrivain a su devancer, ouvrir la voie pour les travaux d’historiens……
Benjamin Stora.