Voici la lettre de Delphine Renard. Elle avait quatre ans en février 1962 au moment de l’explosion d’une bombe de l’OAS, déposée au domicile d’André Malraux. L’explosion l’a rendue aveugle. Elle s’est rarement exprimée en public.
À Madame Catherine Camus
Chère Madame,
C’est avec une grande émotion que j’ai appris la récente nomination, par la maire d’Aix-en-Provence, de M. Michel Onfray en qualité de commissaire de l’exposition Camus prévue pour 2013, après l’annulation de cette exposition d’abord confiée à M. Benjamin Stora.
Je ne suis évidemment pas à même de me faire la moindre opinion au sujet de ce qu’a été votre collaboration avec M. Stora. Mais il me semble que, dans cette affaire, le symbole intellectuel et politique représenté par le choix du commissaire prime sur les contingences de l’organisation. En effet, M. Stora, par sa compétence, internationalement reconnue, au sujet tant d’Albert Camus que du contexte historique de son œuvre, et par son profond engagement humain dans le sens des valeurs défendues par votre père, est certainement la personnalité la plus à même de promouvoir la mémoire d’Albert Camus.
Inversement, le choix de M. Onfray, sur la probité duquel beaucoup s’interrogent, ne manque pas d’envoyer au public un message de récupération par les tenants nostalgériques de l’extrême-droite la plus répugnante. Une exposition ne reçoit pas nécessairement un grand nombre de visiteurs, mais, bien au-delà de la manifestation elle-même, il restera un catalogue qui servira d’outil de références à de nombreux chercheurs, journalistes et universitaires.
Ne serait-il pas terriblement fâcheux que, pour longtemps, le nom de votre père soit sali par de telles accointances politiques ? Pardonnez-moi une telle franchise, mais je connais dans ma chair ce dont sont capables ceux qui gravitent autour de Mme Joissains, et c’est avec une immense inquiétude que je les vois, année après année, s’emparer du pouvoir dans le Midi de la France, trouvant si peu de résistance face à leur montée en puissance.
C’est pourquoi j’en appelle à vous, détentrice des droits moraux d’Albert Camus, qui avez les moyens de vous opposer, en l’espèce, à la mainmise de ces milieux sur un pan essentiel de notre culture.
Dans l’espoir que vous serez sensible à mon cri, je vous prie de croire, chère Madame, en l’expression de mes sentiments les plus respectueux,
Delphine Renard