Le 22 août 1962, le général de Gaulle échappait de peu à l’assaut d’un commando armé. Selon l’historien Benjamin Stora, la vie politique française en porte aujourd’hui l’héritage.
Entretien avec Benjamin Stora. Historien et professeur des universités, spécialiste des guerres de décolonisation. Auteur de La guerre d’Algérie expliquée à tous (Le Seuil).
Quel est le contexte politique à l’été 1962 ?
C’est la fin de l’Algérie française. Les Européens, ceux qu’on appellera plus tard les Pieds-Noirs, quittent massivement le sol algérien. Un été particulier au cours duquel une guerre de sept ans s’achève. C’est aussi la fin d’un cycle de l’histoire française qui est celui de l’empire colonial, dont l’Algérie était le centre. Enfin, on assiste à une crise du nationalisme français qui s’était construit sur la grandeur de cet empire, tout au long du XIXe siècle. L’attentat du Petit-Clamart est le dernier acte de guerre des partisans de l’Algérie française contre le général de Gaulle.
Pourquoi une telle hostilité ?
Tout a commencé le 16 septembre 1959, lorsque de Gaulle a évoqué « le droit des Algériens à l’autodétermination ». En découleront les manifestations nationalistes de la semaine des barricades, en janvier 1960. Un an plus tard, la création de l’Organisation de l’armée secrète (OAS). Puis le putsch des généraux de l’armée française, en avril 1961. Putsch qui a échoué. Il y a eu une montée en puissance des activistes Pieds-Noirs. Le point d’orgue aura été l’attentat du Petit-Clamart.
Il y avait cependant une approbation massive de la politique du général, en faveur du désengagement de l’Algérie. L’immense majorité des Français avait soutenu ce processus par toute une série de référendums en 1961 et 1962. Charles de Gaulle était à la fois une personnalité très populaire, et vivement combattue et critiquée par une minorité d’opposants à l’indépendance.
Quelles conséquences a eu cet attentat ?
De Gaulle est sorti grandi de cette épreuve. Les Français étaient fatigués de la guerre d’Algérie. Il y a eu, au total, l’envoi de 1,5 million d’hommes sur le sol algérien, c’est considérable. Tous les jeunes français nés entre 1932 et 1942 sont partis en Algérie. Toute une génération a combattu. C’est sur cette lassitude que la popularité du général s’est construite. Il était aussi celui qui avait imposé une sorte de paix en Algérie, quel que soit le prix à payer : le départ massif des Pieds-Noirs, les massacres de Harkis. Il y a eu pendant cet été 1962, beaucoup de blessures qui ont encore aujourd’hui du mal à se refermer.
L’attentat a également accéléré le processus de renforcement de l’exécutif. L’élection directe du président par les citoyens marque un renforcement de la présidentialisation de la Ve République. Mais l’instauration du suffrage universel direct, en septembre 1962, était un objectif du général depuis son retour aux affaires en septembre 1958.
Cela a aujourd’hui des répercussions sur la vie politique française…
Bien sûr. Mais c’est toute cette période qui a, 50 ans après, une grande résonance. On mesure aujourd’hui l’importance des événements. L’article 16 de la Constitution, par lequel le Parlement accorde les pleins pouvoirs au président, est directement issu d’une situation de guerre.
Et la politique extérieure de la France ?
Le centre de gravité de la politique mondiale de la France va bouger. Ce sont les prémices de la construction de l’Europe et du couple franco-allemand. L’Algérie va s’effacer de l’actualité pour laisser place au dossier de la crise des missiles à Cuba, dès octobre 1962. Toute l’attention du monde se porte sur la crise entre les États-Unis et la Russie.
Et si de Gaulle avait péri dans cette attaque ?
Difficile à dire. À mon sens, l’indépendance de l’Algérie était inéluctable. Après le référendum du 1er juillet 1962, et la proclamation d’indépendance le 3 juillet, l’Algérie était déjà dans une logique de pouvoir entre Algériens. Les soldats français encore sur place ne pensant qu’à la quille. Je ne vois pas comment la mort du général aurait pu remettre en question ce processus. L’assassinat aurait eu un sérieux impact sur le plan moral, comme les États-Unis ont été bouleversés par le décès de John Kennedy.
Recueilli par
Pierre LE BAUD.