Pour lutter contre la ghettoïsation, l'historien Benjamin Stora propose de créer une université populaire et pluridisciplinaire, façon Centre universitaire expérimental de Vincennes après 1968.
Benjamin Stora est historien. "L'Obs" lui a demandé quelle mesure était selon lui la plus urgente à mettre en œuvre pour en finir avec la ghettoïsation de certains quartiers difficiles. Voici ce qu'il nous a répondu :
"Je propose la création d’une université populaire, ouverte à tous ceux qui n’ont pas le bac, aux jeunes et à leurs parents, sur le modèle du Centre universitaire expérimental de Vincennes qui avait permis que s’exprime l’effervescence post-1968 et où enseignaient les plus grands chercheurs et penseurs de l’époque.
Un lieu inédit où l’on parle des questions qui intéressent cette jeunesse populaire : l’histoire de leurs ancêtres, leur rapport au monde, la place de la France en Europe et en Méditerranée…
Là, les meilleurs intellectuels pourraient venir expliquer l’histoire de la République ou les principes de laïcité, la nature et les dérives du communautarisme, l’histoire de l’Afrique du Nord, etc. Pour aborder le problème auquel nous sommes confrontés aujourd'hui, il faut une approche pluridisciplinaire pensée en direction des nouvelles générations.
C’est une formule à inventer, qui doit être implantée en banlieue parisienne ou lyonnaise. Mais de mon point de vue, cette structure ne doit pas se trouver à la Cité de l’Immigration, car les questions soulevées ne sont pas seulement des questions d’immigration, ce sont bien des questions franco-françaises sur ce qu’on appelle un peu pompeusement "le vivre-ensemble".
C’est depuis mon expérience que je parle, puisque j’ai enseigné plus de 30 ans à Saint-Denis, à Villetaneuse, à Gennevilliers, et même en prison à Poissy… Il est nécessaire que les enseignants de faculté s’adressent à des publics plus vastes et aillent dans des zones en déshérence profonde.
"Il faudrait que chaque université ait, par exemple, un département avec des enseignants envoyés dans les prisons. Il n’y a pas de raison pour que ces lieux soient laissés aux seuls aumôniers et imams".
Bref, il faut un choc, une révolution culturelle : faire descendre les universitaires dans l’arène, qu’ils s’engagent et ne laissent pas seuls les enseignants des lycées et collèges sur la ligne de front…? Cette bataille culturelle est centrale."
Propos recueillis par Marie Lemonnier