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1973781213SYNOPSIS.  

1942, Paris est occupée par les Allemands. Younes, un jeune émigré algérien, vit du marché noir. Arrêté par la police française, Younes accepte d’espionner pour leur compte à la Mosquée de Paris. La police soupçonne en effet les responsables de la Mosquée, dont le Recteur, Si Kaddour Ben Ghabrit, de délivrer de faux-papiers à des Juifs et à des résistants. A la mosquée, Younes rencontre le chanteur d’origine algérienne Salim Halali. Touché par  sa voix et sa personnalité, Younes se lie d’amitié avec lui. Il découvre rapidement que Salim est juif. Malgré les risques encourus, Younes met alors un terme à sa collaboration avec la police. Face àla barbarie qui l’entoure, Younes, l’ouvrier immigré et sans éducation politique, se métamorphose progressivement en militant de la liberté.  

Entretien avec Benjamin Stora

Quelle a été votre implication dans l'écriture du scénario ?

Ismaël Ferroukhi m'a sollicité pour travailler avec lui la dimension historique il y a deux ans. Nous avons eu beaucoup de discussions sur l'histoire de l'immigration algérienne en France pendant l'entre-deux-guerres, et durant la Seconde guerre mondiale. Une fois le scénario achevé, je l'ai relu le texte et j'ai dit à Ismaël qu'il y avait une cohérence historique autour des personnages principaux, en particulier sur les deux jeunes Maghrébins, même si c'est avant tout une œuvre de fiction, et non pas un travail de recherche académique ou théorique.

Quelle était la réalité de la population d'origine algérienne et maghrébine en France et à Paris au début des années 40 ?

En France, la population maghrébine est  d'environ 100 000 hommes en 1939, dont 80% sont des Kabyles. Ils sont arrivés entre 1919 et 1939 et se sont installés essentiellement en Ile de France, dans le Nord Pas de Calais, en région lyonnaise, autour de Marseille, et dans l'est du pays. En réalité, ils ont épousé la carte de l'implantation industrielle de la France de l'époque. Ce sont souvent des hommes seuls et âgés, d'origine paysanne. A l'époque, l'immigration familiale n'existait pas, et n'a débuté que dans les années 1950, au moment de la guerre d'Algérie. Si la plupart d'entre eux viennent d'un territoire considéré comme français, l'Algérie, eux ne sont pas vus comme français et ne sont pas non plus recensés dans les statistiques comme étrangers ou sujets coloniaux, puisque l'Algérie fait partie de la France. Dans l’Algérie de l’époque, les Algériens musulmans n’avaient pas la nationalité française. Ni Français, ni étrangers : ce sont donc des "hommes invisibles". Ils n'ont aucune existence juridique ou culturelle et sont relégués au bas de l'échelle sociale.Leur engagement dans l’action politique par le nationalisme algérien, qui naît avec les organisations Etoile nord africaine ou Parti du Peuple Algérien, leur donne une « visibilité », un sens à leur vie d’exilé. Quand la guerre éclate en 1939, une partie de ces hommes restent en France, et la moitié environ part sur les routes de l'exode, comme la plupart des Français, pour tenter de rejoindre l'Afrique du Nord. Les hommes restés en France – autour de 50 000 – continuent de travailler dans les usines puisque la quasi-totalité d'entre eux sont des ouvriers. Vers la fin de l'année 1942, la majorité d'entre eux iront construire le mur de l'Atlantique, affectés par le service de travail allemand sur ce chantier.
 

Sont-ils victimes de racisme ou d'intolérance de la part de la population Française?

C'est compliqué car, encore une fois, ils sont très peu visibles. Ils vivent à Nanterre, Asnières, Gennevilliers et Boulogne qui correspondent aux grands centres industriels. On les trouve aussi dans quelques arrondissements de Paris, comme les 14ème, 18ème et 19ème. Mais le sentiment qui domine à leur égard, c'est la complète ignorance, puisqu'ils ne sont ni représentés, ni connus. Cette "non existence" correspond à une forme de racisme par le mépris, l’ignorance.
 

La Mosquée de Paris a-t-elle collaboré avec l'occupant et le régime de Pétain ?

Comme l'ensemble des institutions françaises de l'époque, la Mosquée de Paris a collaboré avec le régime de Pétain et les autorités allemandes. Mais, individuellement, certains membres de la Mosquée refusent la politique suivie.
 

A contrario, certains maghrébins ont-ils été résistants ?

On retrouve des ouvriers maghrébins, surtout algériens, dans la Résistance par l'intermédiaire de leur engagement politique antérieur. En 1936, beaucoup d'entre eux ont participé aux manifestations du Front Populaire dans les usines. A ce moment-là, la fraternité politique s'était nouée autour des grèves ouvrières et certains ouvriers maghrébins deviennent solidaires de leurs camarades français qui s'engagent dans la Résistance. Mais cela reste difficile pour eux d'agir car ces "hommes invisibles" sont exclus sur tous les plans. On les voit dans la Résistance, surtout dans les syndicats et les organisations clandestines, dans les années 1942-43. Il savoir que la majorité des Algériens engagés politiquement sont  des militants nationalistes : ils suivent Messali Hadj, leur grand leader, qui a refusé la collaboration avec l'Allemagne et a été condamné en 1941 au bagne et à la confiscation de tous ses biens par le régime de Vichy. Mais il existe néanmoins une forte minorité favorable à la collaboration, qui croit dans les promesses allemandes de libération de l’Algérie.
 

La Mosquée de Paris délivrait-elle vraiment des attestations d'appartenance à l'islam pour protéger les Juifs ?

Il n'y a pas eu de  décision centralisée de la Mosquée de Paris délivrant de façon systématique et massive ce type d'attestations. Mais il y a eu des cas isolés, essentiellement à la demande de Juifs sépharades, qui parlaient l'arabe et habitaient Paris. Certains d'entre eux, pour éviter de se faire rafler, se sont fait passer pour des musulmans puisqu'ils étaient circoncis et s’exprimaient en arabe lorsqu’ils étaient interpellés par la police. Il leurs était donc facile de se faire passer pour ce qu'on appelait à l'époque des Mahométans, selon l'expression utilisée par les Allemands. Le cas le plus célèbre, évoqué dans le film, est celui du chanteur Salim Hallali, inspiré d'une histoire vraie. Ce chanteur de musique andalouse a été de la sorte protégé pendant cette période là.
 

Justement, qui était Salim/Simon Hallali ?

Hallali est un personnage charnière, une sorte de pont entre les communautés musulmane et juive. Originaire de l'est algérien, c'est un artiste venu à Paris, portant cette tradition judéo-musulmane et cette musique arabo-andalouse avec talent. Dans les années 1940, il a remporté un certain succès et a effectivement été protégé par certains membres de la communauté musulmane pendant l'Occupation. Après la guerre, il a cherché à animer des cabarets avant de repartir au Maghreb. Quand il a voulu revenir en France, dans les années 1970, la mode des cabarets orientaux était passée et il n'a donc pas retrouvé sa place : il est mort inconnu en 2005 à Cannes. Aujourd'hui, la mode orientale est revenue et sa figure est de retour dans l'espace musical.
 

Pouvez-vous me parler des cabarets de musique orientale qui existaient à Paris à cette époque ?

Ils ont commencé à exister à la fin des années 1930 et correspondaient à une mode pour l'exotisme née après l'Exposition coloniale de 1931-1932. On avait vu apparaître ce qu'on appelait à l'époque l'Art Nègre et par extension la musique orientale, à la limite de la folklorisation : les chanteurs venaient d'outre-mer et donnèrent naissance aux cabarets orientaux à partir de la fin des années 30. Ils se sont interrompus pendant la guerre, mais ont été préservés dans le cadre de la Mosquée de Paris, qui était un des derniers lieux de production de musique orientale pendant l'Occupation. Et cette vague de cabarets a repris de l'ampleur après la guerre : entre 1945 et 1950, de nombreux cabarets ont ainsi vu le jour à Paris, notamment rue de la Huchette.
 

Quelle est la brochure que lit Lubna Azabal dans le film ?

Cette brochure est éditée par le PPA (Parti du Peuple Algérien), mouvement fondé par Messali Hadj en 1937 à Nanterre, qui a été dissout en 1939, quand la guerre a éclaté. La position du PPA était celle de la Constituante – une constitution prônant l'indépendance de l'Algérie donnant à toutes les minorités la possibilité d'être représentées.
 

Pouvez-vous me parler de Si Kaddour Ben Ghabrit, qu'incarne Michael Lonsdale ?

C'est un personnage emblématique de la France de cette époque-là, qui se trouvait dans une grande ambigüité, proche à la fois des autorités françaises pétainistes et collaborationnistes, mais en même temps proche du Sultan du Maroc. Or, le Sultan du Maroc protégeait les Juifs à cette époque et avait refusé de les livrer aux autorités de Vichy. Au moment du débarquement anglo-américain au Maghreb, en novembre 1942, Ben Ghabrit est coincé par les autorités allemandes qui le pressent de rompre ses liens avec le Sultan, de collaborer franchement. Il est obligé de se soumettre. C'est un exercice d'équilibriste extrêmement compliqué. Après la guerre, il est décoré de la médaille de la Résistance et reste à la tête de la mosquée de Paris après 1945-46.
 

En général, qu'avez-vous pensé de la véracité du film ?

C'est un film courageux car il montre la vie d'hommes invisibles dans Paris occupé, dont personne ne soupçonnait l'existence jusqu'à présent. Sur un plan historique, lorsqu'on réfléchit à la Seconde guerre mondiale, on ne pense jamais à ces immigrés. L'autre mérite du film, c'est de présenter le point de vue des Maghrébins résistants. Même si d’autres de ces hommes ont collaboré, c'est le parti-pris d'Ismaël Ferroukhi qui est tout à fait légitime, extrêmement audacieux.
Par ailleurs, dans le contexte actuel, c'est un sujet particulièrement difficile car la situation n'est pas propice aux rapprochements communautaires. Montrer un film sur le rapprochement entre Juifs et Musulmans constitue à mes yeux un acte de courage. Et c'est ce qui m'a séduit dans ce projet qui nous éclaire sur un aspect méconnu : le lien entre ces deux communautés dans ce moment si particulier.
Benjamin Stora, auteur de Les immigrés algériens en France, une histoire politique (1912-1962), Ed Hachette, collection « Pluriels », 2008.

 

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Ouvrages

Hommage à Benjamin Stora, Mucem, Marseille, 31 mai 2018

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