"La Guerre d'Algérie vue par les Algériens.
Tome I : Des origines à la bataille d'Alger", de Renaud de Rochebrune et Benjamin Stora. Denoël, 440 pages, 23,50 euros.
LE MONDE DES LIVRES, 17 novembre 2011
Quelque trois mille ouvrages traitant de la guerre d'Algérie (1954-1962) ont été publiés durant la seule période allant de 1955 à 1995. Ce sont le journaliste Renaud de Rochebrune et l'historien Benjamin Stora qui le disent.
Et voilà qu'ils en écrivent un énième ? Les coauteurs de ce nouveau pavé, premier tome de La guerre d’Algérie vue par les Algériens, insistent : au domicile parisien de l'historien Mohammed Harbi (qui préface l'ouvrage), les Mémoires d'Algériens acteurs de la guerre occupent à eux seuls plusieurs rayonnages - il y en aurait plus de cent trente !
Dans cette surabondance éditoriale, il faut voir un symptôme. Celui d'une "guerre des mémoires" que continuent à se livrer, sans forcément le reconnaître, les deux rives de la Méditerranée. Il faut y voir aussi l'expression d'une soif de témoigner et/ou de construire une "histoire franco-algérienne", patiemment érigée à l'encontre "des pressions officielles et des lobbies de mémoire".
Parmi les nombreuses publications de ces dernières années, on trouve le pire et le meilleur. Le livre de Stora et de Rochebrune appartient à la seconde catégorie. Leur travail, qui marie avec bonheur le talent du feuilletoniste et l'expertise de l'historien, offre un point de vue, au sens cinématographique du terme, à la fois original et actualisé - grâce à l'accumulation historiographique et à la connaissance des recherches les plus récentes.
Plus de cinquante ans après la sortie du colossal ouvrage en quatre tomes d'Yves Courrière, La Guerre d'Algérie (paru entre 1968 et 1971 chez Fayard, réédité en 1990 par Robert Laffont dans la collection "Bouquins"), voici à nouveau déroulés, sous les yeux du lecteur, les principaux épisodes de ce que l'Etat français a longtemps appelé "événements". A ceci près que la caméra se trouve dans le camp algérien. Non pas dans la langue de bois des dirigeants du FLN, ce mythique "paradis" nationaliste fabriqué pour sortir de « l'enfer » colonial, comme le rappelle Harbi, mais dans ce que les Algériens ont vu et cru, là où ils étaient - dans les villes, dans le bled ou dans les maquis.
Un panthéon méconnu
Les deux tomes de La Guerre d'Algérie vue par les Algériens seront conçus selon le même principe, une composition en cinq grands chapitres, correspondant aux dates "les plus marquantes ou les plus révélatrices" de la guerre, version algérienne. Démarrant sur les chapeaux de roue (d'une Citroën noire) par l'attaque de la poste d'Oran en 1949, le premier tome s'achève en 1957 avec la bataille d'Alger. On y croise et on y découvre un panthéon méconnu, celui des simples militants et des dirigeants algériens, célèbres ou oubliés, leurs espérances, leurs divergences, leurs imaginaires. Une belle fresque.
LA GUERRE D'ALGÉRIE VUE PAR LES ALGÉRIENS. TOME I : DES ORIGINES À LA BATAILLE D'ALGER de Renaud de Rochebrune et Benjamin Stora. Denoël, 446 p., 23,50 €.
Catherine Simon
