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Comptes rendus d'ouvrages

 

LES MÉMOIRES DANGEREUSES
de Benjamin Stora, avec Alexis Jenni
Éditions Albin Michel, 232 p., 18 €

BS-memoires-dangereuses-La lecture du petit livre de Benjamin Stora écrit avec Alexis Jenni intitulé Les Mémoires dangereuses, illustre la prégnance et la présence du passé commun dans l’actualité.

Contrairement à ce que l’on croit et va partout répétant, les peuples ont la mémoire longue. Sans cette masse innombrable et invisible de tenaces souvenirs qui sont une part importante de l’identité des communautés humaines, leur soubassement mental, l’histoire serait littéralement inexplicable et la violence totalement incompréhensible. Le passé colle à la peau de l’actualité et lui donne sa teinte dominante, entre le noir sinistre et le rouge sang. Les guerres et le terrorisme, ces plaies perpétuelles de l’espèce humaine, germent dans les têtes là où sont stockés les souvenirs de ce qui fut.

De tout ce qui fut : bonheurs, humiliations, défaites, victoires, gains et pertes, justice et injustices. La matrice des haines et du ressentiment est constamment prête à l’emploi et à tout justifier, aux yeux des simples manipulés par les malins. Prenons les guerres les plus récentes, les catastrophes les plus atroces qu’il nous ait été donné de contempler dans nos téléviseurs : au principe de toute atrocité il y a un refoulé qui revient de loin et cherche à venger ou réparer quelque méfait qui ne passe pas.

De l’éclatement de la Yougoslavie au génocide du Rwanda, de la guerre des Tamouls à celle de Syrie et à la Palestine, c’est toujours le passé qui sert d’explication, justifiant les pires horreurs comme au nom de réparations à mettre en œuvre. L’attitude même de certains dirigeants de notre temps paraît dictée par le désir de prendre des revanches, au nom du collectif, sur des défaites ou des avanies subies. Sans cela comment expliquerait-on la politique d’un Poutine ? Et sans le retour violent du refoulé comment expliquerait-on la haine que tant d’anciens peuples colonisés éprouvent à l’égard de tout ce qui peut rappeler le temps des colonies et de leur servitude ?

Tout ce que nos ancêtres ont fait pour «civiliser» les peuples indigènes nous revient ces temps-ci comme par l’effet d’un boomerang. Dernier exemple en date : la mémoire de la guerre d’Algérie. La lecture du petit livre de Benjamin Stora écrit avec Alexis Jenni intitulé Les Mémoires dangereuses, illustre la prégnance et la présence du passé commun dans l’actualité. Il prolonge et amplifie une étude jadis publiée par Benjamin Stora et intitulée Transfert d’une mémoire. Nous avons eu deux occasions récentes d’être rattrapés par l’effet retard du passé.

D’abord nous avons été interloqués d’apprendre que beaucoup de terroristes qui, depuis des mois, ont entrepris de saigner la France étaient des jeunes Français, vivant parmi nous depuis leur naissance. Leur différence est leur «origine maghrébine». Deuxièmement les succès du Front national au premier tour des régionales ont tétanisé la France politique et épuisé les commentaires. Y a-t-il un lien entre les deux séries d’événements et les deux surprises ? Ce lien est peut-être la persistance, dans l’âme française, d’une question non résolue, d’un traumatisme non digéré qui est la guerre d’Algérie.

Une partie de la France, notamment ceux que Stora a appelé les «sudistes» par comparaison avec les Américains confédérés de la guerre de Sécession, ceux-là n’ont jamais accepté l’amputation de la terre algérienne. Ils n’ont jamais eu l’occasion de s’en venger symboliquement, ni pratiquement. Le désir de revanche est là, nécessité obsédante tapie au cœur des hommes avec comme figure négative et constamment honnie celle de l’«Arabe» aujourd’hui résumé dans la figure du «musulman».

De l’autre côté de la mer, de l’autre côté des peuples, on connaît mal les effets de la mémoire de la guerre d’Algérie sur les populations de ce pays. Aussi bien chez ceux qui sont restés là-bas que sur les immigrés venus s’employer chez nous. Il est douteux que le peuple algérien ait gardé un souvenir radieux du temps de la colonisation, puis des ratonnades et de la guerre d’indépendance menée contre la jeunesse de France (24 000 morts du côté de l’armée française).

Les atrocités commises à cette occasion ont eu une fin en 1962. Mais, depuis plus d’un demi-siècle tournent et se retournent dans les mémoires et les consciences algériennes comme dans celle des pieds noirs et de bien d’autres Français un contentieux jamais apuré. Violences et humiliations se sont fait la courte échelle pour que l’extrémisme l’emporte dans tant de têtes. Les mémoires sont parfois bourrées d’explosifs.

Bruno Frappat
30/12/15 - 13 H 32

 

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Hommage à Benjamin Stora, Mucem, Marseille, 31 mai 2018

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