Récit. C'est le 20 août 1955 que la guerre est entrée dans la maison et dans les souvenirs du petit Benjamin. Sept ans plus tard, la famille Stora, enracinée en Algérie depuis le fond des âges, quittait Son pays sans espoir de retour, fondue dans la masse des «rapatriés ». Pourtant, ce n'est pas le malheur qui habite la mémoire de l'enfant juif de Constantine, la ville d'Algérie où ses coreligionnaires formaient près du quart de la population, où pas un seul ne subsiste aujourd'hui.
La chaleur familiale, les odeurs et les bruits du quartier, le cinéma et la plage, l'école publique et l'école talmudique lui composaient un monde enchanté. A distance des « Européens » tenant le haut du pavé et des « Arabes » trop différents, les juifs d'Algérie s'éprouvaient ardemment français, sans être tout à fait des Français comme les autres, puisque le décret Crémieux, leur accordant en 1870 la pleine citoyenneté française, fut révoqué par Vichy en 1940, une blessure jamais vraiment cicatrisée. Un pied dans la tradition orientale, un autre dans la modernité occidentale, ils ne se sentaient chez eux que dans cette Algérie dont ils n'étaient jamais sortis. L'assassinat, en juin 1961, de Raymond Leyris, le maître de cette musique malouf exprimant l'âme même de la communauté, leur signifia qu'ils n'auraient pas leur place dans une nation engagée sur un autre chemin. Il leur fallut se reconstruire ailleurs. Rien n'illustre mieux que ce petit livre sensible le propos profond de Saint-Exupéry: « On est de son enfance comme on est d'un pays.»
Laurent THEIS
"Les clés retrouvées. Une enfance juive à Constantine", de Benjamin Stora, (Stock. 148 p., 17 t:).