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Comptes rendus d'ouvrages

 

Camus-brulantUn an après l'annulation de l'exposition aixoise, l'historien publie "Camus brûlant"

Benjamin Stora avait préféré prendre ses distances face à ce "scandale délirant " qui avait mené à l'annulation de l'exposition aixoise sur Albert Camus.
D'abord désigné comme commissaire de cet événement de l'année Capitale, l'historien avait été "brutalement débarqué" et remplacé par le philosophe Michel Onfray, qui finit par renoncer.
Dans Camus brûlant, co-écrit avec le documentariste Jean-Baptiste Péretie, Benjamin Stora analyse les tentatives de captations politiques dont Albert Camus fait l'objet.

 

 

BstoraAvez-vous eu le fin mot de "l'affaire Camus " ?
Benjamin Stora : Non, pas vraiment. Je regrette que Marseille-Provence 2013 ne m'ait jamais contacté. Maryse Joissains dont on connaît les orientations idéologiques a joué sa partition en toute logique. Mais c'est MP-2013 qui était venu me chercher en 2008 et qui m'a débarqué de façon très brutale.

Pourquoi avez-vous écrit ce livre ?
B. S. : Il était important de laisser une trace de cette exposition qui n'a jamais eu lieu au moment où l'on célèbre le centenaire de la naissance de Camus. Cette affaire a été révélatrice des fractures de la société française contemporaine et des débats intellectuels.

Camus fait toujours l'objet de captations politiques. Cela fait-il de lui un intellectuel consensuel qui n'a pas su se faire comprendre?
B. S. : Camus a toujours été très discuté de son vivant. En 1957, il y a eu une immense polémique lors de l'attribution du Prix Nobel. Ensuite, on a pensé que Camus deviendrait un écrivain consensuel pour les jeunes générations. Mais on s'aperçoit que ce n'est le cas. Ses prises de positions à la fois intellectuelles et politiques, continuent de faire l'objet de disputes.

Pourquoi ?
B. S. : Il y a plusieurs raisons. La chute de l'Union soviétique a provoqué une interrogation sur le communisme stalinien que Camus a combattu. Cela l'a fait revenir sur le devant de la scène culturelle. D'autre part, la violence en Algérie dans les années 90 avec l'apparition de l'islam politique a conduit à une interrogation sur la violence et l'engagement politique. Enfin, en France, il y a des guerres de mémoire autour de la question coloniale. Autant de débats très actuels qui remettent Camus au centre de l'agitation intellectuelle et politique. Ce personnage qui était clivant l'est donc redevenu.

Dans quelle mesure les nostalgiques de l'Algérie française peuvent-ils récupérer la pensée de Camus ?
B. S. : Camus était très attaché à sa communauté d'origine. C'est un Européen d'Algérie. D'ailleurs son dernier livre, Le premier homme témoigne de cet attachement. Mais cela ne signifie pas qu'il était du côté des ultras de l'Algérie française. Aussi, Camus ne s'est jamais prononcé pour l'indépendance de l'Algérie. Cette ambiguïté est une porte ouverte qui permet de multiples interprétations. Camus appartenait à un courant politique qui était celui des libertaires de la gauche anti-stalinienne mais il n'a jamais été d'extrême droite. Ses engagements politiques pendant la guerre d'Espagne, son soutien envers les dissidents des pays de l'Est, son combat contre la peine de mort... ont prouvé son identité politique. L'univers intellectuel de Camus n'appartient pas à la droite. Il était un anticolonialiste à sa manière. Il était pour la justice sociale et l'égalité politique.

Pourtant cela n'a pas empêché nombre d'intellectuels algériens d'associer Camus à la figure du colon...
B. S. : La frontière idéologique décisive était celle de l'acception ou pas de la séparation de l'Algérie et de la France. Camus avait condamné les massacres de Sétif de 1945. Il était très lié à des intellectuels algériens comme Kateb Yacine, Mouloud Feraoun, Jean Amrouche. Mais ils reprocheront à Camus son silence sur la question de l'indépendance. Camus étant davantage resté sur le principe de l'autonomie de l'Algérie. Mais il n'était pas du côté du colon. Il était dans une situation de peur de la disparition de la communauté européenne d'Algérie.

Camus était plus sensible aux rapports de classe qu'à la question de l'appartenance nationale...
B. S. : C'est exactement ça. Il ne saisit donc pas le nationalisme algérien. Il pense que c'est une question dépassée, ce en quoi il manque de lucidité. Il restera centré sur l'injustice sociale et l'inégalité juridique. Mais ce n'était pas un acteur politique, il faut le lire comme un grand écrivain.

L'esthétique littéraire des romans de Camus, qui consiste à gommer des paysages "les Arabes" a été considérée comme suspecte ?
B. S. : On retrouve cette esthétique chez des romanciers comme Jules Roy, Jean Sénac et Emmanuel Roblès. Mais on ne leur a pas fait le même procès car ces écrivains ont été du côté de l'indépendance algérienne.

Pourquoi autant de personnes s'identifient-elles à Camus ?
B.S. : Parce qu'il est dans l'ambiguïté, dans l'hybridité. C'est un personnage de l'entre-deux qui est au coeur de la Méditerranée.

"Camus brûlant", Stock, 12,50€

Propos recueillis par Mounia Bachtarzi

 

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Hommage à Benjamin Stora, Mucem, Marseille, 31 mai 2018

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