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Comptes rendus d'ouvrages

 

Le mystère De Gaulle - Son choix pour l'Algérie. Ed. Robert Laffont (3 septembre 2009) 263p.

1_leMystereDeGaulle_BStoraAprès une décennie consacrée aux exactions policières, militaires et judiciaires pendant la guerre d’Algérie, le livre de Benjamin Stora, Le mystère De Gaulle, signe un retour à l’histoire politique du conflit. La riche bibliographie écarte la nouvelle école historique pour se focaliser sur les analyses politiques du conflit, et sur une impressionnante série de témoignages d’acteurs, qui constituent les archives primaires de l’ouvrage. L’auteur, passionné par la politique, n’a jamais quitté ce terrain de prédilection, comme en témoignent les sujets de thèses de ses doctorats. Mais dans ses travaux personnels, il s’était jusqu’alors consacré à deux axes particuliers, la constitution et le devenir du nationalisme algérien, et l’héritage mémoriel de la guerre d’Algérie.

B. Stora s’attaque ici à l’acteur central, côté français, de la guerre d’Algérie, l’homme qui a suscité autant de haines que de vénération dans sa conduite du désengagement français en Algérie, le Général De Gaulle. Revenu au pouvoir du fait de cette guerre interminable, porté à la Présidence de la République pour garder l’Algérie française, il devient l’acteur central de sa décolonisation. Dans cet essai court mais dense, l’auteur ne cache pas son admiration pour l’orfèvre d’une brillante stratégie politique, et sa capacité de tacticien hors pair. Du militaire au politique, la différence n’est ici pas de nature.

 

De la part d’un historien qui a vécu à 12 ans l’exode « pied-noir » de l’été 1962, avant de se lancer avec fougue dans l’aventure du trotskisme révolutionnaire, puis d’entrer dans la carrière universitaire dans les pas de Charles Robert Ageron, l’hommage n’est pas mince ! À la lecture de l’ouvrage, cette contradiction apparente s’éclaircit, quand l’auteur, fidèle à ses écrits sur Messali Hadj et Ferhat Abbas, place la complexité humaine et l’expérience du Grand Homme au cœur de l’Histoire. Ici s’éclaire le discret hommage à la deuxième gauche, et les nombreux tacles aux adeptes de l’histoire des masses, qu’ils soient marxistes ou nationaux/tiers-mondistes. Pour B. Stora, ce n’est pas une ruse de l’Histoire, qui fait de l’homme du 13 mai, l’acteur de la séparation d’avec l’Algérie, mais son intelligence des rapports de forces, et son sens de l’Histoire. Le Grand Homme (même si l’auteur n’emploie pas cette expression) voit manifestement plus loin et plus vite que ses contemporains.

 

Cette réhabilitation du politique, à travers le volontarisme d’un homme, et sa capacité d’entraînement, situe son auteur dans la première des deux écoles d’histoire coloniale définies par D. Rivet en 1992, celle qui privilégie les hommes et leurs actes, quand la seconde s’intéresse aux structures et aux masses. Cet ouvrage apparaît à cet égard comme le point de fuite dans l’œuvre de l’historien. Après avoir exploré les « tenants » nationalistes de cette guerre, et ses « aboutissants » mémoriels, il nous ramène au cœur du conflit qui a focalisé durant trois décennies son travail universitaire d’élucidation.

 

Le livre est construit comme une dramaturgie centrée autour de l’allocution télévisée du Général De Gaulle, en date du 16 septembre 1959. Benjamin Stora, à la suite de l’oublié Ferhat Abbas, fait de cette date le « tournant historique » de la guerre d’Algérie, même si les évènements dramatiques de la fin du conflit l’ont occulté. Avant ce discours, le conflit algérien est dans l’impasse politique : l’État français lutte avec toute sa puissance pour garder « l’Algérie française », contre des « rebelles » tout aussi résolus, que quatre années de guerre ont doté d’une puissante infrastructure politico-militaire. À partir du 16 septembre 1959, la promesse faite d’une autodétermination du peuple algérien entraîne le conflit vers une résolution inexorable (mais non moins douloureuse). Autrement dit, les accords d’Évian et le référendum sur l’indépendance sont en germe dans cette fameuse journée, quoi qu’on en ait dit ou qu’on ait voulu l’occulter.

 

Le 16 septembre 1959, le plan Challe de destruction des maquis de l’intérieur de l’ALN par l’armée française bat son plein. Il en va de même pour le plan de Constantine d’industrialisation et de francisation des 12 départements d’Algérie. Une guerre à outrance et par tous les moyens. Pourtant, ce jour-là, la politique prend subrepticement l’ascendant sur le militaire. Elle devient ce jour là « la guerre par d’autres moyens », pour pasticher Clausewitz. C’est un tournant sans retour. Pour l’historien, reste à comprendre la genèse intellectuelle et politique de ce discours-programme, puis la manière dont il a été perçu par les acteurs, prémisses à l’emballement d’histoires parallèles jusqu’à l’été 1962 : division du camp français et fuite en avant des ultras de l’Algérie française, versus rapprochement entre l’État français et ses adversaires du FLN.
Dans la théâtralisation qu’il met en scène de cette journée, l’auteur emprunte la voie tracée par le grand médiéviste G. Duby dans Le dimanche de Bouvines (1973), pratique peu courante en histoire du monde contemporain. Cette optique suppose un souci de précision extrême dans la description des lieux de l’intrigue, du déroulé chronologique, et des personnages. Si cette manière d’écrire l’histoire peut dérouter, elle est cependant facilitée, en histoire du XXe siècle, par la masse des témoignages et la précision des récits d’acteurs, dont certains sont encore vivants. Cette mise en scène, qui peut apparaître comme une concession éditoriale à l’air du temps, est aussi une mise en situation qui fait éclater les frontières entre types d’histoire et de récit historiques. Or histoire culturelle, histoire politique et histoire militaire ne sont pas des histoires parallèles. Toutes sont intriquées les unes dans les autres. Mais à l’heure où la spécialisation segmente les savoirs, cette mise en mots de la complexité du réel accroît son intérêt.

 

Le 16 septembre 1959, quand De Gaulle prononce son allocution, la France franchit un cap dans la diffusion des technologies médiatiques et leur usage politique. Il fait chaud dans toute la France, en cette fin d’été caniculaire, où les vacances scolaires ne sont pas terminées. Les jeunes militaires du contingent écoutent le discours dans les casemates, en même temps que le gouvernement du GPRA à Tunis, dans la villa de son Président F. Abbas. Les Algérois font de même dans les cafés de Belcourt ou de la Kasbah, ainsi que les officiers de l’état-major au siège du GG à Alger, et les Parisiens rentrés du travail. L’auteur souligne le tournant modernisateur de 1959, quitte à forcer le trait, superposant l’émergence de l’automobile pour tous, du rock n’roll, de la banlieue des cités HLM, et d’un nouvel âge politique.

 

L’architecture du livre, divisé en sept chapitres, est centrée autour du 16 septembre. La première partie est consacrée cette date-clef, jour de l’enregistrement du discours, et de sa diffusion radiotélévisée, en France et en Algérie. Le discours, parmi d’autres documents, figure de manière précieuse en annexe, aux côtés d’utiles biographies des acteurs français et algériens, et d’une chronologie du conflit. Par un savant retour en arrière, trois chapitres présentent les éléments de contexte (notamment cette fameuse année 1959) et la genèse du discours. D’après l’historien, la compilation des confidences et des témoignages laisse peu de doute quant à la maturation de la pensée du Général au cours de l’année 1958/1959.

 

Tout indique en effet, qu’en dépit de son extrême prudence tactique, imposée par le danger objectif de la situation (500 000 soldats armés en opération au cœur de la République), De Gaulle se convainc assez rapidement que l’Algérie est inassimilable à la France, sauf à changer sa nature, ce qu’il ne désire pas. Au passage, l’ouvrage constitue une contribution bien involontaire, mais néanmoins effective, au débat en cours sur l’identité nationale ( !). Où l’on voit la permanence, un demi-siècle durant, de certains débats et de réactions face à la nation, à la République, à l’Islam et aux musulmans.

 

Les trois derniers chapitres sont consacrés aux réactions suscitées par le discours, dans le camp français et dans le camp algérien, puis à son impact sur le cours des choses, réorienté par cet acte fondateur de l’autodétermination algérienne. Mais pendant qu’un monde colonial se meurt à Alger, une autre Algérie s’édifie à Tunis, autour du GPRA, ainsi qu’une nouvelle France en métropole, gonflée par une puissante poussée de sève démographique.
Ici émerge la figure de l’historien acteur. Baby boomer d’après-guerre, âgé de 18 ans en 1968, il contribue aux évènements qu’il voit se lever en 1959, et plus encore durant les années 1960. Il prend d’ailleurs soin de distinguer le De Gaulle visionnaire de la fin du « moment colonial », et de la nécessaire reconversion de la France dans l’Europe et les nouvelles technologies, du De Gaulle « conservateur » de 1968, qu’il combat avec la jeunesse étudiante en 1968.

 

En ce début de XXIe siècle, au moment où la France change une nouvelle fois d’époque, la génération du baby-boom arrivant au terme de sa mission historique, il n’est pas inintéressant de lire, sous la plume d’un de ses intellectuels, qu’elle voit dans la résolution du conflit algérien un moment fondateur de son histoire. Débarrassée de l’Empire, de la « mission civilisatrice » et de la guerre (après 23 ans de conflits ininterrompus), la nouvelle génération allait s’adonner à de nouvelles utopies, à de nouvelles luttes, et au plaisir de sa liberté collective retrouvée. Ainsi, B. Stora rompt moins qu’il n’y paraît avec ses précédents ouvrages biographiques, leur donnant au contraire un nouvel éclairage . « Toute histoire et une histoire contemporaine », a écrit Gramsci.

 

Un autre point fort de ce livre est sa capacité à mener de front l’analyse du « camp français », en particulier ses instances politiques et militaires, et les réactions du « camp algérien », dont l’auteur est le meilleur spécialiste français. Car l’historiographie coloniale à la française présente bien souvent un défaut d’hémiplégie, consacrant à tel ou tel acteur (colonial/ colonisé), à tel ou tel camp (nationaliste/ indépendantiste), l’essentiel de son effort. Ici, l’auteur porte son regard sur les deux camps en présence et leurs démembrements, (FLN/MNA/harkis/civils/émigrés versus métropole/Algérie/ militaires/libéraux/activistes), et même s’il privilégie la geste gaullienne et ses fondements, il passe en revue la gamme des attentes et des réactions dans le camp algérien.

 
Or la réponse, mûrement pesée, du camp algérien ragaillardi, s’oriente dans la direction où De Gaulle voulait la conduire. C’est dans le camp français, comme il le redoutait, que le tournant politique suscite des tensions, et bientôt une véritable guerre fratricide entre réalistes et jusqu’aux boutistes. S’engage ainsi l’acte final d’une guerre que les Français allaient tenter définitivement d’oublier…, avec le succès que l’on sait.

Pierre Vermeren,

Maître de conférences en Histoire
à Paris 1 Sorbonne.


Lettre de Philippe De Gaulle à Benjamin Stora à propos de son livre "Le mystère De Gaulle"

 
Philippe De Gaulle - AMIRAL (2 S) -
MEMBRE HONORAIRE DU PARLEMENT -

Paris le 20 octobre 2009

Cher Monsieur,

Dans ma famille, lorsqu’un auteur sur « De Gaulle », me fait parvenir son livre, on dit « c’est mauvais signe pour la bonne foi de l’ouvrage ». Vous m’avez envoyé le vôtre dédicacé. C’est au départ, une garantie de sa qualité.
Il est, en effet, dense, sérieux, documenté et bien écrit, concernant « le choix » de mon père pour l’Algérie, qui a été de plus en plus restreint au fur et à mesure que les exactions de l’OAS faisaient passer les Français pour de moins en moins fiables.

C’est encore, bientôt un demi-siècle après l’indépendance de l’Algérie, l’un des sujets sur lequel on trouve les affirmations les plus fausses, les chiffres les plus exagérés, les silences les plus exploités et les revendications les plus abusives.

Outre les passions exacerbées par les erreurs et les souffrances, les plus sourds n’ont rien entendu – d’où probablement votre titre de « Mystère ? – de ce que le Général a dit après le « Je vous ai compris » : la nécessité du changement en une seule catégorie de citoyens à part entière, la constatation de la fraternisation entre eux, le tout étant aussi un appel au FLN qui, perplexe, avait cessé tous les combats à ce moment-là, ce que les « Pieds-noirs » avaient complètement oublié.
Toutes proportions gardées, la même erreur avec ses néfastes conséquences, s’était produite le 6 juin 1944, lorsque beaucoup n’ont rien entendu d’autre que : « La bataille suprême est engagée » - c’est à dire «  le débarquement de la Libération », et non pas un quelconque commando comme à Bruneval – alors que le but même de cette allocution état les consignes claires et nettes pour éviter des fausses manœuvres coûteuses dont nos alliés ne s’étaient guère préoccupés.
Vous êtes l’un des rares à avoir rappelé la Déclaration du 16 septembre 1959 qui était capitale et qui aurait pu déboucher sur une conjoncture bien meilleure si de professionnels de l’Armée et les Français d’Algérie ne l’avaient pas délibérément sabotée.
De 1958 à la fin de 1959, le Général De Gaulle avait remarqué combien étaient optimistes les comptes-rendus de l’Armée par rapport aux renseignements qu’il avait par ailleurs. Il ne se faisait pas d’illusion : c’était un pragmatique malgré ses ambitions et ses sentiments.
Je regrette par ailleurs que les historiens n’aient pour ainsi dire pas discerné la période du 18 mars au 3 Juillet 1962 du Gouvernement provisoire Fouchet - Abdrerrahmane Farès qui aurait pu s’affermir et durer bien plus longtemps si les agités précités ne s’étaient pas autant acharnés à l’empêcher, au point que beaucoup de morts après ces deux dates sont le fait de l’OAS comme du FLN.
En bref, après un demi-siècle, il est bien qu’un ouvrage comme le vôtre commence à parler valablement de l’Algérie.
Il est bon que vous ayez cité l’ouvrage d’Yves Courière     (réédité en Bouquins-Laffont-1990) qui donne des chiffres que beaucoup évitent de mentionner. Le roman de Michel Droit : « La ville blanche » (Julliard-1973) décrit assez bien l’ambiance du temps et des personnages en termes atténués. Ce sont le Gouvernement du Général De Gaulle et l’Armée loyale qui se sont occupés d’évacuer ou d’exfiltrer les harkis, ou « supposés tels » (sic), comme le dit la Loi de 2006. Pas les autres, malgré leurs clameurs indignées à ce sujet pour donner le change pour camoufler leurs écrasantes responsabilités en amont et en aval.

Dans le cas où vous ne l’auriez pas déjà lu, j’ai cru pouvoir vous adresser ci-joint l’exemplaire N°152 de la Revue « Espoir » qui m’évite d’allonger encore cette lettre.
Veuillez agréer, Cher Monsieur, l’expression de ma déférente et amicale considération.


Amiral Philippe De Gaulle.

 

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Hommage à Benjamin Stora, Mucem, Marseille, 31 mai 2018

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